MARCUSS

Il y a un an, Rachel Keke est élue députée de la 7e circonscription du Val-de-Marne en battant Roxana Maracineanu, ancienne ministre des Sports d’Emmanuel Macron. Un sentiment de fierté gagne mon corps : l’élection d’une femme ouvrière racisée binationale est un symbole pour celles et ceux qui ne sont rien. Je republie ici ma lettre ouverte pour Mme Keke, une ouvrière partie à l’assaut du ciel.

Nous sommes le 19 juin 2022, mon corps est traversé par une sensation de chaleur et de fourmillement, le tout s’accompagnant d’un sentiment de fierté. J’ai le sourire, malgré l’élection bourgeoise qui vient de faire élire Emmanuel Macron à la tête de l’Etat capitaliste. Mais ce jour-là, l’ouvrière Rachel Keke est élue députée dans la 7e circonscription du Val-de-Marne en battant Roxana Maracineanu, l’ancienne ministre des Sports du gouvernement sortant. Toutes ces émotions ressenties sont inattendues pour moi, le communiste révolutionnaire qui n’accorde pourtant pas beaucoup d’importance à la lutte électorale, mais je comprends rapidement leurs origines : l’élection d’une femme ouvrière racisée binationale est un symbole pour celles et ceux qui ne sont rien. Les polémiques de l’extrême droite ou les propos racistes d’Elisabeth Levy sur Cnews n’y changeront rien, Rachel Keke est élue. L’étudiant accompagnateur d’élèves en situation de handicap que je suis à l’époque, gagnant la modique somme de 700 euros par mois, s’est reconnu à travers elle malgré nos parcours radicalement différents. Elle, l’immigrée de classe populaire, moi, un homme issu d’une famille située socialement à quelques centaines d’euros de la classe moyenne supérieure, une position faisant oublier ses anciennes racines ouvrières.

Pour autant, par son parcours, les luttes syndicales qu’elle a menées, son engagement à gauche, Rachel Keke devient une figure importante pour le communiste en galère qui vit avec 600 à 900 euros par mois depuis l’âge de ses 20 ans. Ainsi, je me mets à l’écriture d’un article qui sera publié quatre jours plus tard, intitulé « Rachel Keke, l’ouvrière et le bourgeois ». Ce billet, mêlant des éléments biographiques de Mme Keke, sa lutte syndicale à l’hôtel IBIS, mais aussi le mépris de classe des bourgeois envers la classe ouvrière, se termine par une courte lettre ouverte. C’est cette dernière, cette lettre ouvrière, que je republie ici, un an après l’élection de la nouvelle députée.

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Lettre ouverte pour Rachel Keke

Rachel Keke, en tant que communiste révolutionnaire, la politique institutionnelle ne m’intéresse pas beaucoup. Je préfère la politique populaire, ouvrière, celle que vous connaissez bien, celle qui se déroule dans les entreprises, celle qui plante les piquets de grève, celle qui se déploie dans la rue, dans les syndicats, les organisations communistes et anarchistes, dans les collectifs d’éducation populaire, dans les scop ou dans les quartiers populaires. Pour autant, l’investissement de la classe ouvrière dans les structures politiques institutionnelles est toujours une porte ouverte intéressante. Si je suis convaincu que ce n’est pas entre les murs de la social-démocratie que nous gagnerons notre émancipation collective, dans ce lieu se joue aussi la défense de nos conquêtes sociales.

Si les ouvriers et les ouvrières sont rares à l’Assemblée nationale, avec votre victoire, c’est bien la première fois que je me sens représenter. Ma blanchité et mon genre dominant n’y changent rien, je me retrouve en vous bien plus qu’à travers une assemblée principalement composée d’hommes blancs de la classe supérieure et bourgeoise. Je partage avec vous cette condition de classe. Moi aussi je fais partie de « ceux qui ne sont rien », ce prolétariat invisible, (sur)exploité, méprisé, chosifié. Travaillant comme accompagnateur d’élèves en situation de handicap, je fais partie des 5 % des travailleurs les plus pauvres de France. Je n’existe qu’à travers celui qui m’exploite. Si nous pouvons exister autrement, collectivement, en tant que classe pour soi comme disait Marx, en prenant conscience que nos intérêts communs sont antagonistes à ceux qui nous oppressent, force est de constater que malheureusement nous n’en sommes pas là.

Néanmoins, vous pouvez nous faire exister, dans vos paroles, vos discours, vos projets de loi, votre soutien dans les luttes que nous menons au quotidien pour nos conditions de travail, nos salaires, contre l’exploitation qui nous dépossède de nous-même et mutile notre dignité. Bientôt, vous serez dans cette arène où vit avec opulence la politique politicienne, celle des bourgeois, des carriéristes, des opportunistes, où règne le conservatisme, la démagogie, la connivence entre partis. Soyez cette/notre voix ouvrière indisciplinée ! Les habitués de l’Assemblée, les carriéristes et les opportunistes, parce qu’ils ont une connaissance accrue de l’agencement et du fonctionnement de la politique institutionnelle, délégitiment tous ceux qui n’en sont pas initiés, c’est-à-dire la classe ouvrière. Montrez votre/notre légitimité ouvrière !

Pendant votre lutte victorieuse contre le groupe Accor, vous étiez, avec vos camarades, des ouvrières parties à l’assaut du ciel. A l’Assemblée, faites tout votre possible pour ne pas viser plus bas.

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