Apanews a rencontré les leaders de la « résistance » contre le coup d’Etat qui a renversé le président nigérien Mohamed Bazoum, fin juillet. Récit.

Paris, envoyé spécial: Lemine Ould M. Salem.

Sur cette table discrète installée au fond d’un café chic parisien de la Rive Gauche, où les deux hommes reçoivent les rares journalistes auxquels ils acceptent de parler, les téléphones ne cessent de vibrer. Mais ce soir-là, le duo n’a répondu qu’à quelques rares appels, dont on ne saura jamais les auteurs, même si on peut deviner qu’il s’agit très probablement de coups de fil en lien avec la situation qui prévaut depuis le 26 juillet dans leur pays, le Niger. Ce jour-là, alors qu’ils se trouvaient à l’étranger, Rhissa Ag Boula et Ousmane Abdoul Moumouni, jusqu’alors respectivement ministre d’Etat à la présidence et conseiller spécial du chef de l’Etat se sont réveillés en apprenant que le président Mohamed Bazoum, élu en fevrier 2021 à la faveur de la première succession au pouvoir par les urnes dans ce pays qui figure sur la liste des « champions d’Afrique » des coups d’état réussis ou avortés, est empêché d’accéder à son bureau par le chef de sa garde présidentielle, le général Abdourrahmane Thiani dit Oumar Tiani.

Les raisons d’un coup d’État…« bête»

Ce que les partisans du président Bazoum espéraient n’être qu’un simple « mouvement d’humeur » du chef de la garde présidentielle comme l’avait initialement annoncé l’entourage du président Bazoum, s’est finalement avéré être un coup d’Etat militaire.

« C’est le coup d’Etat le plus bête jamais commis en Afrique. Le général Thiani avait demandé à aller à l’étranger pour suivre des cours d’état-major, un cursus classique pour un officier supérieur de son rang et qu’il aurait dû effectuer bien longtemps auparavant. Bazoum lui a demandé de lui proposer un remplaçant durant sa formation, ce que le général a fait. Bazoum n’étant pas convaincu du profil de l’officier proposé, n’a pas accepté. Le général a pris le refus du président comme un affront personnel, d’autant que des rumeurs l’accusant de volonté de trahison circulaient déjà dans l’entourage du président. C’est donc un coup d’Etat pour convenance personnelle », regrette Ousmane Abdoul Moumouni, 47 ans, aujourd’hui porte-parole du Conseil de la résistance pour la république (CRR), une organisation lancée depuis le 9 août à Paris et qui veut restaurer le pouvoir du président renversé. Le jeune conseiller en est le principal animateur, avec son aîné Rhissa Ag Boula, 66 ans, qui en occupe la présidence.

« Bazoum est un philosophe de formation. C’est avant tout un intellectuel. C’est aussi un homme très attaché à certaines valeurs, comme la loyauté et la fidélité. Puisque Thiani à été nommé à son poste par Mahamadou Issoufou auquel il est resté loyal durant ses deux mandats de président de la république, Bazoum qui est lié à Issoufou depuis plus de trente ans ne voulait pas savoir pourquoi le général Thiani ne lui resterait pas fidèle à lui aussi jusqu’au bout », analyse Rhissa Ag Boula, qui, avant sa conversion en « homme d’Etat », s’est fait connaître au Niger pour avoir dirigé plusieurs rébellions à dominante touarègue dans le nord du pays. La première a duré de 1990 à 1995, la seconde de 2007 à 2010.

Plus d’un mois et demi environ après ce « coup d’État parfaitement illégitime et profondément dangereux pour toute la région » du Sahel, selon la première réaction du président français Emmanuel Macron, les putschistes entretemps organisés dans le cadre d’un Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), semblent conforter leur emprise sur le pays. Après avoir proclamé le général Thiani comme chef de l’Etat, ils ont aussi nommé un premier ministre et « un gouvernement de transition ».

La junte, accusée de manipuler la population

Mieux, ils ont aussi réussi à convaincre une partie de la population, notamment à Niamey la capitale, à les rallier à coup de slogans souverainistes, panafricains et anti-impérialistes. Aujourd’hui, des milliers de citoyens se relaient jour et nuit au rond-point Escadrille en face de l’aéroport militaire de Niamey pour réclamer le départ du pays des 1500 militaires français dont une partie y est stationnée à la demande du président Bazoum après la transformation du dispositif Barkhane qui était présent au Mali et au Burkina et dont les autorités de ces deux pays, toutes deux issues de coups d’Etat , avaient exigé puis obtenu le départ.

« Les manifestations de soutien à la junte sont limitées à la seule ville de Niamey. Le Niger est beaucoup plus vaste et peuplé que la capitale. Si ces soutiens étaient majoritaires dans le pays, pourquoi les militaires empêchent alors les opposants au coup d’État de manifester? C’est qu’ils savent que la majorité des Nigériens leur est hostile », dénonce Ousmane Abdoul Moumouni.

« Les manifestants pro-putsch viennent tous des mêmes quartiers. Il s’agit de secteurs dans la capitale où depuis l’indépendance sont installées des familles de militaires. Or, durant de longues décennies l’armée était dominée par des éléments issus d’une seule ethnie. Avec la démocratisation du système politique, les officiers originaires de cette ethnie voient régulièrement le pouvoir passer entre les mains de présidents issus d’autres communautés. Beaucoup d’entre eux n’ont jamais accepté cette situation. Ce sont eux qui sont derrière ces manifestants », accuse Rhissa Ag Boula.

Dès les premières heures qui ont suivi le coup d’Etat contre Bazoum, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avait brandit la menace d’une intervention militaire pour rétablir le président reversé dans ses fonctions. Lors d’un « sommet spécial » tenu quatre jours après le putsch, les chefs d’Etat du bloc régional ouest-africain avaient même fixé aux putschistes un délai ferme d’une semaine pour restaurer l’ordre constitutionnel, affirmant ne pas exclure un « recours à la force ». Dans les pas de la France et l’Union européenne (UE), deux importants partenaires du Niger qui ont immédiatement annoncé la suspension de la coopération avec Niamey, la Cédéao avait aussi annoncé des sanctions financières, dont la suspension de « toutes les transactions commerciales et financières » entre ses États membres et le Niger, ainsi « qu’un gel des avoirs pour les responsables militaires impliqués dans la tentative de coup d’Etat », selon le termes du communiqué lu à la fin de ce sommet extraordinaire présidé par le chef d’État nigérian Bola Tinubu. L’organisation régionale avait aussi décidé de fermer toutes les frontières des pays membres avec le Niger.

« La Cédéao a trop attendu…»

Des réticences de certains membres et les mises en garde émises par des pays voisins du Niger comme l’Algérie et le Tchad contre les conséquences d’une éventuelle intervention militaire ont, semble-t-il, contraint la Cédéao à suspendre son projet d’usage de la force armée contre les putschistes.

« La Cédéao a trop attendu. Les autres partenaires du pays aussi, d’autant qu’au départ le général Tiani n’avait aucun soutien des autres corps de l’armée et des forces de sécurité. Une intervention rapide l’aurait obligé à abandonner son entreprise, à moins qu’il soit suicidaire », rumine Ousmane Abdoul Moumouni, regardant son aîné comme s’il cherchait à le faire changer d’avis alors que ce dernier vient longuement d’argumenter ses doutes profonds à l’égard des capacités militaires de pays de l’organisation régionale.

« En Afrique de l’Ouest, à quelques exceptions près, on a que des armées mexicaines », accuse l’ancien chef rebelle dénonçant «les hiérarchies pléthoriques, la désorganisation et et l’anarchie qui règne au sein de la plupart des armées ouest-africaine, exactement comme c’était le cas chez les révolutionnaires mexicains de 1910 ».

A l’époque, deux armées régionales se battaient contre le pouvoir central de Mexico : l’une au nord, commandée par Pancho Villa, l’autre au sud, par Emiliano Zapata. Une multitude de généraux, colonels et commandants sans formation militaire dirigeaient de manière anarchique des troupes essentiellement composées de peones, c’est à dire des paysans et journaliers qu’ils pouvaient promouvoir ou dégrader du jour au lendemain.

« La solution ne peut pas venir de la Cédéao. Elle viendra inévitablement d’ailleurs », insiste l’ex chef insurgé touareg, devant son cadet qui, dit-il, « continue pourtant malgré tout à croire à une possible intervention de la Cédéao ».

Et si la solution devait finalement venir d’une initiative politique ? Pour les deux « résistants », pro-Bazoum, « l’essentiel est juste le retour à l’ordre constitutionnel ».

Issoufou a-t-il bon dos ?

Que pensent-ils de cette médiation qu’aurait entreprise dès le premier jour du putsch Mahamadou Issoufou, prédécesseur et ancien mentor du président renversé qu’une grande partie de leur camp soupçonne pourtant d’avoir joué un rôle déterminant dans le coup d’État contre Bazoum ?

« C’est un mauvais procès que l’on fait à Issoufou dans le but de créer des divisions dans le camp du président Bazoum. Les deux hommes sont amis depuis plus de trente ans et se considèrent comme des frères. Le général Thiani à toujours été l’homme de confiance de Mahamadou Issoufou. C’est lui qui l’avait nommé à la tête de la garde présidentielle et Bazoum l’avait conservé à ce poste. Il est donc proche des deux hommes. C’est le mieux placé pour essayer de trouver une solution négociée entre eux. Mais pour réussir cette mission, il ne peut pas se permettre de condamner l’un ou l’autre. On ne joue pas le médiateur quand on a déjà choisi un camp. On reproche à Issoufou de ne pas avoir condamné le coup d’État publiquement. S’il le fait, il ferme la porte à toute possibilité de discussion avec les putschistes. Il est dans une situation extrêmement délicate », justifie longuement Rhissa Ag Boula sous le regard acquiesçant de son cadet.

En raison de l’hostilité affichée à leur égard par le gouvernement français, les nouvelles autorités issues du putsch du 26 juillet ont récemment dénoncé plusieurs accords militaires conclus avec la France, concernant notamment le « stationnement » du détachement français et le « statut » des militaires présents dans le cadre de la lutte antidjihadiste au Sahel. Dans la capitale Niamey, les manifestations de soutien aux putschistes régulièrement organisées sont toutes ponctuées de slogans anti-français, tandis que des drapeaux russes y sont brandies, laissant penser que la junte nigérienne pourrait emprunter le pas aux colonels de Bamako qui après leur prise du pouvoir en mai 2021, avaient fait appel aux combattants de la compagnie privée militaire russe aux méthodes controversées, Wagner, avant d’exiger puis obtenir le départ des troupes françaises quelques mois plus tard.

« Il y a une grande différence entre les putschistes du Niamey et ceux de Bamako et même Ouagadougou. Ces derniers peuvent sans risquer grand chose subir toutes les sanctions individuelles, sans grand effet sur leur vie. Ils sont arrivés au pouvoir sans avoir eu le temps d’avoir des biens à l’étranger. Ce qui n’est pas le cas des officiers nigériens impliqués dans le coup d’état contre Bazoum. La majorité de ces derniers, ont tous été longtemps dans des postes juteux où ils ont accumulé beaucoup d’argent et de biens dont une grande partie est placée dans des pays occidentaux. Ils n’ont donc aucun intérêt à faire venir les militaires russes ou Wagner pour risquer de ne plus avoir accès à leur biens en d’Europe ou en Amérique du Nord. Ils pourraient bien laisser leur partisans faire des appels à la Russie ou d’autres pays étrangers. Mais ils ne pourront jamais aller jusqu’au bout en les faisant venir au Niger en remplacement des armées occidentales présentes », assure Rhissa Ag Boula.

« S’ils étaient vraiment décidés à faire venir les Russes au Niger, pourquoi les manifestants qu’ils manipulent ne demandent pas le départ des militaires américains qui sont présents depuis plusieurs années dans le pays? » appuie Ousmane Abdoul Moumouni.

« Si personne ne veut assumer ses responsabilités (…)  ce ne sera pas notre cas »

Dans leur communiqué rendu public le 8 août dernier à Paris, les deux animateurs du CRR avaient appelé à l’arrestation du chef des putschistes, le général Thiani. A ce jour, leur appel est resté lettre morte.

« Si personne ne veut assumer ses responsabilités dans le rétablissement du président Bazoum dans ses fonctions de président légitime de la république du Niger, ce ne sera pas notre cas. Nous disposons de soutiens partout dans le pays, y compris au sein de l’armée, des forces de sécurité, de l’administration, sans compter la population. Pour des raisons de sécurité, nous sommes les seuls qui apparaissons publiquement. Mais quand l’heure de vérité va sonner, vous allez être surpris. Vu les hésitations des partenaires internationaux du pays, il y a de fortes chances que cette heure soit très proche », menace l’ancien rebelle multirécidiviste, laissant planer un sérieux risque d’une nouvelle rébellion armée au Niger.

LOS/ac/APA

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2 Commentaires

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