OPINION – La politique d’aide publique au développement (APD) est inefficace en Afrique subsaharienne. Mais un programme d’industrialisation cohérent et doté d’un fonds d’investissement privé, pourrait la remplacer progressivement et ainsi favoriser enfin un développement rapide de la région. Par Francis Journot, consultant et entrepreneur.

L’inefficience de l’aide publique au développement est dénoncée depuis 6 décennies et l’OCDE a aussi pointé du doigt, son saupoudrage et sa dispersion. Déjà, l’agronome René Dumont dans les années 60, les économistes Jean-François Gabas en 1988, Jeffrey Sachs en 1990, William Easterly en 2001 ou Dambisa Moyo en 2009, s’interrogeaient à propos de la méthode de l’APD. En 2015, dans l’article « L’aide publique au développement n’aide pas l’Afrique » publié dans Le Monde Afrique, l’ancien diplomate Laurent Bigot écrivait : « L’APD est un business qui fait vivre des dizaines de milliers de fonctionnaires internationaux et nationaux mais aussi une myriade de consultants. Ils ont tous en commun un objectif : ne pas scier la branche sur laquelle ils sont assis et sur laquelle ils vivent grassement. ». « C’est l’argent de personne. Les bailleurs sortent pourtant ces sommes de la poche de leurs contribuables mais n’ont aucune exigence sur l’utilisation. ».

Mais ce modèle perdure et les Objectifs de développement durable (ODD) imposés par l’ONU depuis 2015, continuent d’aller à l’encontre de l’industrialisation et du développement de l’Afrique subsaharienne. En édictant une politique dogmatique suivie par des États et organismes africains, les institutions internationales jouent avec le feu. L’extrême pauvreté et la malnutrition associées à l’explosion démographique en cours, favorisent une montée du terrorisme et de l’instabilité politique. Elles génèrent aujourd’hui immigration massive vers l’UE et drames humains dans la méditerranée.

Il est maintenant urgent de changer de paradigme

Selon la Banque mondiale, les politiques actuelles créeront « tout au plus, 100 millions de nouveaux emplois au cours des 20 prochaines années au lieu des 450 millions dont l’Afrique aura besoin ». Aussi les prévisions démographiques et indices de pauvreté de l’Afrique subsaharienne font craindre avant 20 ou 30 ans, un chaos humanitaire d’une telle ampleur qu’il serait ingérable. Aussi l’Afrique Subsaharienne doit se développer très rapidement. Mais lorsqu’on sait que l’industrialisation européenne a nécessité plusieurs siècles de savoir-faire et que la Chine a bénéficié de l’aide occidentale sans laquelle elle figurerait encore parmi les pays les plus pauvres, il apparait alors évident que l’Afrique subsaharienne ne pourra pas s’industrialiser de façon autonome en quelques années.

Les annonces d’investissement de milliards d’euros dans de multiples projets sans cohérence d’ensemble, se succèdent au cours d’innombrables forums africains ou internationaux mais sans une méthodologie efficiente, les capitaux ne viendront pas ou seront le plus souvent gaspillés. Pour exemple, l’Agenda Africain pour 2063 de l’Union Africaine (UA) n’a jamais décollé depuis 10 ans à l’instar du Plan de Lagos de 1980 de l’Organisation de l’Union Africaine (OUA) qui s’était aussi enlisé.  Même en l’hypothèse très improbable où le plan de l’UA produirait des résultats à l’approche de 2063, combien de centaines de millions d’africains, d’ici cet horizon, subiront l’extrême pauvreté ou succomberont à la faim ? Les jeunes entrepreneurs qui ont aujourd’hui 35 ou 40 ans, auront vieilli de 40 années et seront alors âgés de 75 ou 80 ans ! Les objectifs sont lointains alors que le temps presse.

 

Un fonds privé qui abonderait le programme au lieu d’une APD financée par des contribuables

Le fonds d’investissement dédié au « programme pour l’industrialisation de l’Afrique subsaharienne en moins de 20 ans » servirait, à moyen et long terme, une rémunération des capitaux qui certes, ne rivaliserait pas avec celle des produits financiers les plus performants mais séduirait néanmoins des  pays, investisseurs institutionnels et privés soucieux d’afficher des valeurs de RSE et d’inclusivité tout en préservant leurs investissements dans un fonds à la gestion sérieuse et prudente. Ainsi que mon    dernier article dans la Tribune Afrique l’expliquait, « Pour amorcer la réussite de l’Afrique subsaharienne, il faut un programme d’industrialisation de 1 000 milliards d’euros en 20 ans ». Le montant qui peut sembler considérable, doit être à la hauteur du défi en termes d’emplois mais aussi en matière de fourniture de biens de consommation nécessaires pour une population subsaharienne dont le nombre devrait atteindre 2 milliards d’habitants en 2050 et 4 en 2100.

Il sera pour cela indispensable que la création des nouveaux outils de production industrielle ou agricole financés, ne soit guère anarchique et s’inscrive dans un processus encadré. Ainsi, les productions qui constitueront des écosystèmes locaux complets ou s’inséreront dans des chaines de valeur mondiales, permettront de multiplier les effets positifs de chaque euro investi. Pour dégager les marges bénéficiaires suffisantes qui participeront de la viabilité du fonds, Il faudra, de la production à la commercialisation, souvent user d’un modèle économique d’intégration verticale. Compte tenu de l’ampleur de la tâche et afin de renforcer le fonds en attendant que le programme produise ses effets, Il nous faudra néanmoins aussi intégrer des placements externes.

D’États africains dépendants et pauvres à partenaires économiques prospères

Aujourd’hui, bon nombre d’africains jugent que le recours à l’Aide au développement, renvoie au monde, une image de pays assistés qui décrédibilise ses forces vives. Mais à l’inverse, car la différence est fondamentale, la relation entretenue avec les Etats africains dans le cadre de la mission coordonnée du cabinet de gestion, du programme et de son fonds, s’apparentera à un rapport entre partenaires ou, bien que le financement provienne souvent d’investisseurs extérieurs, de prestataire avec des clients.

L’Afrique subsaharienne est plurielle et il faut un paradigme qui fédère ses populations. Il permettrait de rompre progressivement avec un modèle d’APD, qui, bien qu’ayant bénéficié de 2000 milliards de dollars en 60 ans, est dépassé et ne profite qu’a quelques-uns tandis que de nombreux autres restent dans l’extrême pauvreté et continuent de lutter contre la faim. Aussi s’avère-il certain, après les projets idéologiques écrits par des institutions internationales, que notre programme qui s’adresse davantage aux entrepreneurs africains volontaires et aux populations, constitue le premier vrai projet d’envergure et crédible. Il faut maintenant que l’Afrique subsaharienne le fasse sien en le plébiscitant.

Francis Journot*

*Francis Journot dirige le programme pour l’industrialisation de l’Afrique subsaharienne ou Plan de régionalisation UE-Afrique ainsi qu’Africa

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