1. Le rattrapage : La théorie de Walt Whitman Rostow

Ben ZAHOUI-DÉGBOU Géographe – Journaliste spécialiste de Géopolitique. Docteur en Commerce International (Investissements Directs Étrangers – IDE – et Développement).

Pour Walt Whitman Rostow (1916-2003), le Développement serait un phénomène inéluctable, certains pays ayant simplement débuté le processus avant d’autres, tout ne serait donc qu’une question de temps pour que les derniers rattrapent les premiers. Mais, selon lui, sous certaines conditions, le Développement pourrait être accéléré. En 1960, Rostow publie un livre : « Les étapes de la croissance économique » et oppose sa théorie du Développement au Développement de type marxiste. Pour l’économiste et théoricien politique américain, le Développement est un processus historique linéaire passant par des étapes définies, par opposition à la vision dialectique des théories marxistes 1 . Justement dans son ouvrage, Rostow dégage les caractéristiques uniformes de la modernisation des sociétés. Chaque pays traverse les mêmes étapes pour passer du Sous-Développement au Développement.

Ainsi tous les pays seraient en train de parcourir le même chemin, mais en sont à des étapes différentes. Ce qui change ce sont les moteurs de la croissance à travers l’histoire. Le Développement du « Tiers monde » devrait donc aller très vite car il peut bénéficier des acquis et de l’expérience du monde développé. D’après lui, après une phase d’accumulation du capital, il y a une phase de décollage permettant aux pays sous développés de rejoindre les pays développés. Dans cette théorie, le développement social est une conséquence naturelle du Développement. Il convient donc de ne pas s’en occuper. Rostow compte sur l’effet de « percolation2 » de la croissance économique.

Mais avant, Rostow parle de cinq différentes étapes que les sociétés parcourent au cours de leur processus de développement : 1° étape : La société traditionnelle – 2° étape : La réunion des conditions préalables au développement – 3° étape : Le décollage économique (Take off) – 4° étape : La marche vers la maturité – 5° étape : La société de consommation de masse. Deux autres sociologues ont ajouté deux nouvelles étapes post Rostow. Le sociologue français Alain Touraine, a ajouté une 6° étape : La société post-industrielle. – Le sociologue américain Ronald Inglehart, lui, a ajouté une 7° étape : La société post-matérialiste.

1 La théorie marxiste repose sur une analyse « matérialiste » de l’évolution de l’histoire. … Les marxistes appréhendent l’économie comme une succession de modes de production : le mode féodal a laissé place au mode de production capitaliste, celui-ci sera remplacé par les modes de production socialiste et communiste.
2 La percolation (du latin percolare, « filtrer », « passer au travers ») désigne communément le passage d’un fluide à travers un milieu plus ou moins perméable, par exemple dans la préparation du café. C’est un processus physique critique qui décrit, pour un système, une transition d’un état vers un autre. La théorie de la percolation qui étudie les systèmes hétérogènes et désordonnés fournit une approche complémentaire en économie. Elle permet d’étudier la propagation d’une information (technologie, prix, comportement, opinion, etc.) sur une structure aléatoire et hétérogène où un ensemble d’éléments (agents, entreprises, etc.)
forme un réseau.

2. Le rattrapage : La théorie de Lewis

La théorie de William Arthur Lewis, Prix Nobel d’économie en 1979 avec Theodore Schultz3, propose une vision dualiste du Développement. Pour lui, cette vision part du constat que les économies sous-développées sont des économies duales. Il y a juxtaposition d’un secteur traditionnel et d’un secteur moderne. Ces deux secteurs fonctionnent sur deux modes totalement différents. Dans le secteur traditionnel, les besoins sont sociaux alors que dans le secteur moderne les besoins sont économiques.

D’après cette théorie, le secteur capitaliste moderne va absorber le secteur traditionnel par un transfert de main-d’œuvre entre le secteur traditionnel et le secteur moderne. D’après Kari Polanyi Levitt4, la contribution la plus connue de Arthur Lewis à l’économie du Développement fut son travail de pionnier sur le transfert de main-d’œuvre d’un secteur capitaliste traditionnel à un secteur moderne disposant d’une offre illimitée de main-d’œuvre. Son article, « Development with Unlimited Supplies of Labour (1954) », a contribué à établir l’économie du Développement comme un domaine d’étude spécialisé.

L’article examine les mécanismes de transfert du surplus de main-d’œuvre du secteur
traditionnel à un secteur capitaliste moderne disposant d’une main-d’œuvre illimitée.

Le modèle de Lewis a montré que dans une économie disposant d’une offre de main-d’œuvre illimitée, les bas salaires et la pauvreté persisteront tant que le coût d’opportunité sera bas. Né à Sainte-Lucie, aux Antilles en 1915, diplômé de la London School of Economics, il est aussi l’auteur de : « Theory of Economic Growth (1955) ». Rendu célèbre par ses analyses des problèmes du Tiers-Monde et de Développement, il met en avant la nécessité de briser les structures sociales et culturelles des pays

3 Theodore William Schultz (1902-1998) est un économiste américain spécialisé en économie du développement. En 1960, Schultz devient président de l’American Economic Association et obtient en 1972 la médaille Walker, le titre le plus élevé délivré par l’association.

4 Kari Polanyi Levitt est Professeur émérite d’économie à McGill University, à Montréal, et a été Professeur d’économie politique George Beckford à l’université des Antilles, Mona, de 1995 à 1997. Elle a été Professeur invitée à l’Institut des relations internationales à la Trinité et a été conseillère en planification économique auprès du gouvernement de Trinité-et-Tobago en Développement, structures qui bloquent l’essor économique 5.

En effet, selon lui, la classe dirigeante est souvent un obstacle à la croissance économique, parce qu’elle craint que les changements structurels nés de la croissance économique ne lui fassent perdre le pouvoir.

Par ailleurs, William Arthur Lewis6 estime que le Développement industriel dans les pays du Tiers- Monde doit s’appuyer sur un secteur agricole solide et sain. Pour lui, il convient également de mettre en place une infrastructure de qualité (transports, approvisionnement en énergie) qui nécessite de gros capitaux, alors que le faible taux d’épargne et l’organisation financière défaillante des pays en cause, constituent des goulets d’étranglement. Arthur Lewis, qui enseigna notamment à Manchester et à Princeton, a mis en pratique ses théories sur le développement en participant, comme Conseiller, au gouvernement de plusieurs pays du Tiers-Monde notamment le Ghana et en
contribuant à la création de la Banque caraïbe de Développement.

3. Le rattrapage : La théorie du Développement par l’ouverture

C’est une théorie néoclassique inspirée par David Ricardo qui aborde la question du Commerce International de manière moins restrictive en énonçant sa loi des avantages comparatifs7. Son analyse complète celle de Smith qui se heurte à une limite évidente : elle n’évoque pas le cas d’un pays qui n’aurait aucun avantage dans aucun produit. En effet, il ne nie pas le fait que si un pays a un avantage absolu8 dans la production d’un bien ou d’un service, il doit concentrer ses ressources dans
5 Jean-Claude Maitrot, « Arthur Lewis, (1915-1991) », Encyclopædia Universalis. Il est professeur de droit public à l’université de Paris-V-René-Descartes, URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/arthur-lewis/
6 William Arthur Lewis est un Universitaire brillant. Il est le premier Noir à être engagé par une institution prestigieuse au Royaume-Uni. Il a été nommé professeur à temps complet à l’université de Manchester en 1948, à l’âge de 35 ans. C’est à cette période qu’il s’est penché sur une question qui ne l’avait pas quitté depuis ses années de jeunesse à Sainte-Lucie Aux Antilles : pourquoi dans l’industrie sucrière les ouvriers travaillent-ils tant pour un salaire de misère, alors que dans les pays riches ils jouissent de meilleures conditions de travail, avec des salaires plus élevés ?

C’est son anti-impérialisme qui l’a amené à se pencher sur la question du développement des pays du Tiers Monde.

7 Théorie classique du commerce, développé par David Ricardo (1772-1823) dans son ouvrage « Des principes de l’économie politique et de l’impôt » publié en 1817 et qui répond aux limites de la théorie de l’avantage absolu d’Adam Smith. La théorie de l’avantage comparatif peut être résumée de la façon suivante : Il démontre
que pour un pays l’échange est toujours préférable. Qu’il ne possède aucun avantage absolu ou au contraire qu’il possède plusieurs produits avec un avantage absolu, l’intérêt du pays reste dans le commerce avec d’autres pays.

8 La théorie des avantages absolus de Smith dit qu’un pays a intérêt à se spécialiser dans la production des biens pour lesquels il est plus efficace que les autres, et échanger les surplus de ces biens contre d’autres biens dont il aurait besoin. Ce faisant, Smith montre que le libre-échange est plus efficace que le protectionnisme, doctrine alors largement répandue. Cette théorie sera complétée par celle des avantages comparatifs de David
Ricardo. la fabrication et l’exportation de ce produit. Mais il rajoute que, même en l’absence d’avantage absolu, un pays a quand même intérêt à échanger en se spécialisant en fonction de ses avantages relatifs. La théorie du Développement par l’ouverture repose donc sur le principe des avantages comparatifs. Il faut se spécialiser dans le domaine où on est le plus compétitif. Le Commerce International devient ainsi le facteur de croissance. Pour Ricardo, les pays sous développés doivent mettre en valeur leurs avantages comparatifs pour s’insérer dans l’économie mondiale et ainsi se développer.

Le libre échange est donc indispensable au développement du Tiers-monde. Cette théorie a été mise en pratique par les institutions de Bretton Woods : Le FMI, la Banque mondiale et le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, en français accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), qui deviendra l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1995). Les avantages des pays sous-développés sont l’exportation de matières premières et des produits agricoles de base. Ils ont aussi un avantage comparatif dans la production de bien manufacturés de masse (nécessitant beaucoup de main-d’œuvre). Sur cette base, il faut donc dessiner la carte de l’organisation internationale du travail. D’après cette organisation, l’Afrique doit se spécialiser dans l’exportation de
matières premières et l’Asie dans la production de bien manufacturés de masse. Ce néo-riccardisme arrive sur le devant de la scène à partir du début des années 1980.

4. Le rattrapage : La théorie de la dépendance

La théorie de la dépendance prend de l’importance dans les années 1970 en proposant une approche originale du Développement. Dans cet optique, on part du constat que les pays sous- développés, dépendent financièrement, commercialement et techniquement des pays riches du Nord. Il ressort de cette théorie que leur rythme de Développement est tributaire des besoins des économies de pays développés, qui les exploitent (matières premières et main-d’œuvre payées à bas prix, moindre fiscalité). Pour les théoriciens du courant de la dépendance (Raul Prebisch, Samir Amin et Andre Gunder Frank)9

, le Développement des uns ne peut aller sans le Sous-Développement des
autres. Pour eux, les pays du Sud doivent profondément modifier leurs relations avec les pays du Nord.

9 Raúl Prebisch (1901–1986) est un économiste néomarxiste argentin. Samir Amin, (1931-2018) est un économiste politique franco-égyptien marxiste. André Gunder Frank (1929-2005), est un économiste germano-américain.

Une stratégie proposée dans cette perspective, notamment par la Commission Économique
pour l’Amérique Latine (C.E.P.A.L.), consiste à produire sur place des produits industriels
autrefois importés (Industrialisation par Substitution aux Importations-ISI-). Pour
Emmanuelle Bénicourt, Maître de conférences en sciences économiques à l’université de
Picardie Jules Verne, les pays du sud doivent axer leur Développement sur les besoins
nationaux (il parle de Développement autocentré) et protéger ainsi leurs nouvelles
industries par des droits de douane. Dans ce sens, le Développement d’accords commerciaux avec des pays de la périphérie de même niveau de Développement peut pallier l’insuffisance éventuelle de la demande interne.

Pour conclure cette réflexion sur la théorie de la Dépendance, il faut noter que le monde dit
«développé» est donc perçu comme responsable des difficultés d’insertion des économies
périphériques aux grandes économies de marché; le Sous-Développement apparaît ainsi comme une conséquence de la dépendance aux pays du Nord, notamment le monde occidental. La situation économico-politique de l’Amérique latine et de l’Afrique est lue à travers le prisme de la théorie de la dépendance. Les caractéristiques les plus souvent énumérées sont : mono-industrie, détérioration des termes de l’échange, soumission des régimes politiques et économiques des pays sud notamment africains aux impératifs des pays occidentaux.

Ben ZAHOUI-DÉGBOU
Géographe – Journaliste spécialiste de Géopolitique.
Docteur en Commerce International
(Investissements Directs Étrangers – IDE – et Développement).

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