En Côte d’Ivoire, les autorités se sont lancées dans un grand projet d’assainissement de certains quartiers de la capitale économique à l’urbanisation galopante. Chez les habitants des quartiers visés, mais pas encore détruits, l’inquiétude est palpable.

Qui sera déguerpi, et qui aura droit à un sursis ? Dans plusieurs quartiers populaires d’Abidjan, beaucoup retiennent leur souffle en attendant de connaître leur sort. Ce samedi 9 mars, les pelleteuses doivent reprendre leur entreprise de déguerpissement c’est-à-dire de démolition d’habitats ou commerces jugés illégaux  dans la capitale économique ivoirienne. « Nous avons appris que le district d’Abidjan va déguerpir le carrefour Deux plateaux, mais on ne sait pas vers quel côté, se plaint un jeune homme devant son box d’achats de crédits de communication, à quelques mètres du carrefour. On se demande si ce sera ici ou de l’autre côté de la voie, parce que toute la zone s’appelle carrefour deux plateaux. »

En tout, 176 sites menacés de déguerpissement ont été listés par le district autonome d’Abidjan. Pour son nouveau ministre-gouverneur, Ibrahim Cissé Bacongo, il s’agit « d’une mission assignée par le président de la République », qui lui « a fait confiance en [le] nommant à ce poste ». « Il ne s’agit pas de 176 quartiers à éradiquer, à démolir systématiquement. Il s’agit de 176 sites à risque, a-t-il précisé dans une récente interview au journal gouvernemental Fraternité Matin. Pour accomplir cette mission, je n’ai pas de délai particulier à observer. »

Mise en demeure

Toutefois, les autorités communiquent peu, ou mal sur le sujet car sur le terrain, rares sont ceux qui, comme Moussa, mécanicien au carrefour Zoo, disent avoir reçu une mise en demeure. Le garage où il travaille est lui même menacé de déguerpissement. « Nous ne savons pas quand ils viendront et s’ils viendront, mais c’est logique que nous soyons déguerpis, car je suis conscient que nous sommes installés sur le domaine public », avoue Lamine, le patron du garage.

Les autres se fient aux propos des voisins et aux rumeurs sur les réseaux sociaux. Avec son nourrisson dans les bras, assis devant son petit stand de vente, Awa dit avoir reçu l’information d’un déguerpissement par ses proches voisins, mais « attend de voir ce qui va se passer le 9 mars ». « Je me dis qu’ils vont casser plus bas, dans le versant du quartier, qui peut être dangereux en saison de pluie, mais sinon ici, la pluie ne nous dérange pas, il n’y a pas de risques d’éboulement », essaie de se rassurer la jeune dame.

« Il paraît qu’ils vont tout casser »

À Abidjan, comme dans de nombreuses grandes capitales, les contextes géographiques et sociologiques varient beaucoup d’un quartier à l’autre, et parfois même au sein d’un même quartier. Comment savoir où commencent et se terminent les zones citées par le document du district d’Abidjan, alors que beaucoup de toponymes ne sont pas fixés par le cadastre, et relèvent plutôt du surnom improvisé par les riverains ? « On parle du carrefour Zoo, mais c’est où au juste ?, fait mine de s’interroger Jean Ako, militaire à la retraite. Le zoo, c’est là où on met les animaux. Ici, c’est un village, le village Tchagba. »

Tchagba est en effet un village de l’ethnie atchan (ébrié), originaire d’Abidjan. Comme plusieurs villages atchan, il a été happé par l’urbanisation galopante. Le petit village d’antan fait désormais partie du quartier Colombie les oliviers, souvent considéré comme précaire, surtout à cause du contraste avec son voisin très huppé des Deux plateaux. « Il paraît qu’ils vont casser tout Colombie, notre village y compris, mais je n’ai reçu aucune mise en demeure, affirme Jean Ako. Chacun a un village. Si tu casses le nôtre, où irons-nous ? Il faut que le gouvernement y pense. »

Des voisins de Jean Ako ont déjà commencé à déménager, de peur de se faire surprendre au matin du 9 mars, mais le retraité se dit confiant et continue même les travaux d’aménagement de sa buvette. « Les gens me demandent pourquoi je continue à investir dans mon maquis alors qu’ils peuvent venir tout casser ? Mais j’ai mes papiers donc je suis serein, j’attends donc le 9. »

Comme Jean Ako, les habitants de ces 176 sites ciblés par le district d’Abidjan attendent la venue, ou non, des bulldozers. Impossible de savoir s’ils connaîtront le même sort que Gesco, Boribana ou Banco 1.

AVEC JA

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