Portrait-Les autorités russes ont confirmé, dans la soirée du 23 août, la mort du patron du groupe Wagner dans le crash de son avion au nord de Moscou. En juin dernier, Evgueni Prigojine avait brièvement menacé de prendre le pouvoir, avant de se raviser et de disparaître.

À peine son nom a-t-il figuré sur la liste des passagers de son avion écrasé près de la ville de Tver, en Russie, que déjà des dizaines de théories ont fleuri autour de sa mort. Pour les uns, Evgueni Prigojine a bien été tué sur ordre de son ancien maître, Vladimir Poutine, contre lequel il avait osé se révolter en juin dernier avec ses mercenaires de l’organisation Wagner. Pour d’autres, cet adepte des perruques et des faux passeports aurait mis en scène l’explosion de son propre avion afin de mieux disparaître sur le continent africain ou ailleurs.

Seule certitude, l’annonce de sa mort n’aura surpris personne, ni à Washington, ni à Kiev, ni à Moscou, tant ce personnage de roman russe s’était fait d’ennemis depuis le début de la guerre en Ukraine. L’entrepreneur aux allures de majordome était sorti de l’ombre en communiquant à outrance sur le rôle de son groupe Wagner durant « l’opération spéciale » et la prise de la ville ukrainienne de Bakhmout, au point de passer pour un chef de guerre habile quand le reste de l’armée russe piétinait face aux troupes ennemies.

Brute déguisée en majordome

A écouter ses discours au cours des douze derniers mois, l’homme aux allures de brute déguisée en majordome, aurait chassé également les Français du Mali et de Centrafrique, fait élire Donald Trump et nourrit les casernes russes. Autant dire un entrepreneur spécialisé dans la géopolitique qui, à travers ses usines à fabriquer des fausses informations, ses médias « patriotes » et sa milice privée déployée en Afrique et en Ukraine, se serait mis au service du rayonnement de la Russie à l’étranger.
Russie : la « galaxie Prigojine » dans les ténèbres de l’incertitude

Preuve de son importance, on l’avait encore retrouvé dans l’organisation du forum Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg en juillet dernier, soit moins d’un mois après sa révolte, qualifiée de « trahison » par Vladimir Poutine. Alors qu’aucune poursuite judiciaire n’avait été engagée contre lui, il poursuivait ses allers-retours entre la Biélorussie, Saint-Pétersbourg et le Kremlin, tentant de sauver une partie de son empire patiemment édifié durant trois décennies.

De son ascension à sa rébellion, l’ancien taulard soviétique a toujours détonné dans l’univers des oligarques russes. Sa fortune ne s’est pas construite sur la captation des biens de l’État soviétique à la fin de l’URSS, mais sur le marché des casinos, des hot-dogs puis des restaurants huppés de Saint-Pétersbourg, où il a grandi. Il y tisse son réseau en servant ses hôtes de marque, dont un certain Vladimir Poutine qui a ses habitudes au chic New Island.

Entrepreneur d’influence

Ses relations avec le futur président lui ouvriront le marché juteux de la restauration des casernes du ministère de la défense et l’organisation d’événements du Kremlin. « Il a une vraie logique d’entrepreneur et sait flairer les opportunités, précisait il y a quelques mois Colin Gérard, doctorant à l’Institut français de géopolitique et spécialiste des stratégies d’influence informationnelle de la Russie. Mercenariat, influence, construction… Toutes ses affaires ont un point commun : obtenir un gain financier. »

Quand Vladimir Poutine revient au pouvoir en 2012, son protégé se transforme en entrepreneur d’influence à travers le lancement d’une ferme à trolls à Saint-Pétersbourg. Une armée d’internautes submerge l’Internet russe de fausses rumeurs sur les opposants, puis se déploie à l’étranger. C’est le lancement de la guerre informationnelle qui contribuera à affaiblir la candidature de Hillary Clinton face à Donald Trump en 2016, et l’action de la France en Centrafrique puis au Mali. En parallèle, il crée des médias « patriotes » qui inondent la Russie de films et d’articles anti-occidentaux.

Après le début de la guerre en Ukraine, en février 2022, Evgueni Prigojine commence à mettre en scène son image de brute sans foi ni loi, qui aime, ici, arborer ses tatouages de truand, parle, là, l’argot des prisons face à des détenus qu’il est venu recruter pour combattre en Ukraine dans les rangs de Wagner. Ses hommes agissent peu à peu telle une armée parallèle dans le Donbass. Les médias de l’oligarque relaient leurs « exploits », tout en critiquant le ministre de la défense Sergueï Choïgou et les généraux russes. « Il a énormément d’ennemis dans l’armée », observait déjà en décembre 2022, Colin Gérard, qui ne lui prédisait pas une fin heureuse : « S’il est sorti du bois, c’est pour mieux se protéger. »

Un déballage aux allures d’exécution

Dans sa fuite en avant, l’homme d’affaires de 61 ans a tenté jusqu’au bout de conserver son armée parallèle, au moment où son pire ennemi, le ministre de la défense Sergueï Choïgou a obtenu de Vladimir Poutine la dissolution des groupes de mercenaires en Ukraine et leur intégration dans l’armée régulière. La peur de tout perdre l’aurait conduit, en juin dernier, à se lancer dans cette folle rébellion armée au cours de laquelle ses troupes s’emparent du quartier général des armées russes en Ukraine installé à Rostov-sur-le-Don, avant de progresser en direction de Moscou. Après une journée de flottement, Evgueni Prigojine donne l’ordre de rebrousser chemin, sans que l’on sache ce qu’il a obtenu en échange.

Les médias d’État russes publieront ensuite des vidéos de ses maisons, de ses lingots, de ses passeports, de ses fausses perruques, tout en étalant son goût pour les jeunes femmes vierges sur la scène publique. Un déballage aux allures d’exécution pour de nombreux observateurs. L’administration se chargera, elle, de prendre le contrôle de son empire médiatique, tandis que ses mercenaires rendront peu à peu tanks, artillerie et avions à l’armée régulière. Devenu discret ces dernières semaines, Evgueni Prigojine était réapparu lundi soir sur une vidéo où il se tenait devant un paysage africain, un fusil d’assaut dans les mains. Soit trois jours avant son retour à la Une des médias russes qui se sont empressés d’annoncer sa mort ce 23 août 2023.

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Un personnage qui a toujours intéressé la justice

1981. Condamnation à douze ans de prison pour « vol en bande organisée » et « participation à un réseau de prostitution de mineurs ». Il sort finalement au bout de neuf ans de détention.

Février 2021. Le FBI l’ajoute à sa liste des personnes recherchées.

Février 2022. Les États-Unis imposent des restrictions de visa et gèlent ses actifs, ceux de sa femme et de leurs enfants après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.

Juillet 2022. Le département d’État américain offre une récompense allant jusqu’à 10 millions de dollars pour des informations sur lui et ses compagnies impliquées dans l’ingérence dans les élections américaines de 2016.

Avec LACROIX

(1) Sur Internet, messages diffusés sur des sujets prêtant à polémiques.

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2 Commentaires

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