La Côte d’Ivoire face à l’extrémisme violent. Le pays n’a pas connu d’attaques sur son sol depuis juin 2021. L’insécurité liée aux groupes armés terroristes semble contenue. Que deviennent ces groupes extrémistes ? Quelles sont leurs activités ? L’institut d’études de sécurité (ISS) publie un rapport, qui se penche sur les liens entre des activités illicites et les groupes extrémistes violents. Cette étude a été menée dans trois régions du nord de la Côte d’Ivoire (La Bagoué, le Tchologo et Le Bounkani). Pour en parler, Bineta Diagne s’entretient avec William Assanvo, chercheur principal au bureau régional de l’ISS en Afrique de l’Ouest.

Dans votre rapport, vous constatez que les groupes extrémistes ont infiltré l’économie du bétail et l’orpaillage clandestin. Quelles méthodes ont-ils employées ?

William Assanvo : Globalement, pour s’impliquer dans ces activités, ils se sont appuyés sur l’insécurité qui était générée du fait de leur présence, en proposant aux orpailleurs, en proposant aux acteurs de l’économie du bétail – notamment des éleveurs, des propriétaires de bétail, des commerçants de bétail – une offre de protection. Une offre de protection pour pouvoir leur assurer de continuer à mener leur activité dans les zones où ils opéraient et qu’ils contrôlaient, et également pour pouvoir en retour bénéficier d’une sorte de collaboration qui leur permettait d’investir des ressources financières, qui leur permettait de mettre en place des réseaux de partenaires commerciaux, également de pouvoir avoir du ravitaillement en vivres et en non vivres.

Comment ces civils perçoivent-ils ces groupes-là ? Est-ce qu’ils comprennent qu’il s’agit d’une menace pour eux ?

Ils comprennent clairement qu’il s’agit d’une menace. Si on prend le cas de l’orpaillage illégal spécifiquement, l’émergence des groupes extrémistes violents a eu pour conséquence un ralentissement de l’activité dans les zones où les groupes étaient présents, notamment le long de la frontière avec le Burkina, également au niveau du parc national de la Comoé.

Du coup, on peut dire que finalement ces civils adhèrent de manière plus ou moins indirecte à ces groupes-là ?

Ils s’associent de manière contrainte pour pouvoir continuer à mener leur activité, pouvoir sécuriser cette activité génératrice de revenus, pouvoir aussi d’une certaine manière se protéger, protéger leur famille, protéger leur bétail, par exemple. On ne peut pas aussi exclure qu’il y a eu pour certains individus une forme d’adhésion au discours véhiculé par ces groupes-là, notamment par là pour la défense de l’islam. On ne peut pas exclure qu’il y ait des individus qui aient été aussi sensibles à ça. Il y a aussi une dimension qui a aussi été noté, c’est la question du lien communautaire qui a aussi facilité l’association avec ces groupes.

Qu’est-ce que les groupes extrémistes violents gagnent à maitriser ces filières-là, notamment le vol de bétail ?

Le gain est à plusieurs niveaux. Il est déjà financier, parce que non seulement ils investissent de l’argent, mais ils espèrent en avoir en retour. Donc, ils investissent de l’argent en mettant des ressources à la disposition des propriétaires de commerçants du bétail pour acheter du bétail et pour le vendre. Et bien entendu, pour avoir le résultat de cette vente. Il y a aussi cette dimension de s’appuyer sur un réseau de partenaires commerciaux, qui leur apporte aussi du ravitaillement, qui leur apporte aussi des renseignements. Cela leur permet aussi d’avoir accès à des ressources dont ils ont besoin pour vivre dans la brousse, pour les vivres et les non vivres, les médicaments, le carburant.

Certains éleveurs sont contraints de verser chaque année une sorte de taxe et un certain nombre de têtes de bétail à ces groupes. Pourquoi ne dénoncent-ils pas ces personnes auprès de la police ou de la gendarmerie ?

Il y a deux choix qui ont été observés : soit le choix de collaborer, soit le choix de quitter la zone. Et la possibilité, la perspective de pouvoir dénoncer n’est pas apparue comme un choix qui a été fait par la plupart de ces acteurs qu’on a rencontrés.

Quels sont aujourd’hui les risques que cela représente pour la Côte d’Ivoire, le fait d’avoir ces liens un peu « invisibles » entre les civils et ces groupes extrémistes violents ?

Même si on observe qu’il n’y a pas eu d’attaques depuis plusieurs années, ce dont on peut se réjouir, il n’en demeure pas moins que d’une manière ou d’une autre, à travers les territoires de la Côte d’Ivoire, les groupes parviennent à générer des ressources financières qui sont nécessaires pour leurs activités dans le Sahel, dans la zone frontalière. Donc, le risque que la Côte d’Ivoire joue un rôle involontaire dans le financement du terrorisme est là. Le risque aussi est que, si jamais on coupe ces voies d’approvisionnement, que la Côte d’Ivoire ne représente plus un intérêt financier, donc qu’ils estiment que c’est une cible légitime à partir du moment où il n’y a pas un intérêt à pouvoir retirer des ressources financières de ce pays.

Qu’est-ce qui peut être fait pour atténuer ce phénomène ?

Sur l’orpaillage, il y a clairement besoin de poursuivre tous les efforts qui ont été initiés, en tout cas depuis plusieurs années pour mieux réguler ce secteur. Par rapport à l’économie du bétail, il y a un besoin de s’assurer de la mise en œuvre effective de toutes les dispositions qui existent et qui gouvernent à la transhumance, qui gouvernent au déplacement du bétail, le fait que pour rentrer dans un pays, le bétail doit emprunter certaines voies, puis le bétail doit avoir des papiers aussi bien du point de vue sanitaire que du point de vue qui permet d’en identifier le propriétaire. Il y a toutes ces mesures en lien avec l’économie du bétail qui nécessiterait d’être revue et dont la mise en œuvre nécessiterait d’être accentuée.

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