Outgoing chairperson of the African Union and Senegal President Macky Sall arrives on the second day of the 36th Ordinary Session of the Assembly of the African Union (AU) at the Africa Union headquarters in Addis Ababa on February 19, 2023. (Photo by Amanuel Sileshi / AFP)

A quelques heures du top- départ de la campagne pour la présidentielle du 25 février prochain, le président sénégalais, Macky Sall, a annoncé, dans une adresse télévisée à la nation, le report sine die dudit scrutin. Le motif essentiel de cette décision qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel du pays de la Teranga, est donné par le chef de l’Etat dans son discours : « Alors que s’annonce l’élection présidentielle du 25 février 2024, notre pays est confronté, depuis quelques jours, à un différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges », a-t-il laissé entendre. L’on sait, en effet, que des députés du PDS, soutenus par certains élus de la coalition au pouvoir, ont soulevé des accusations de corruption contre deux juges du Conseil constitutionnel qui avait précédemment invalidé la candidature de Karim Wade. Mais la raison invoquée par Macky Sall pour reporter l’élection est-elle suffisante ?

Si, pour le chef de l’Etat, la réponse est « oui » en raison, dit-il, du fait que le Sénégal ne pouvait plus se payer le luxe d’une nouvelle crise après les affrontements meurtriers consécutifs à l’affaire Ousmane Sonko, certains y voient plutôt une manœuvre politique. Et la première de ces motivations est que le chef de l’Etat joue les prolongations pour mettre de l’ordre dans le camp présidentiel dont le candidat, Amadou Ba, ne fait ni l’unanimité ni le poids pour remporter la victoire à l’élection, de l’avis de certains analystes.

Macky Sall installe son pays dans une zone de turbulences

A défaut de parvenir à trouver l’indispensable consensus, certains n’hésitent pas à franchir le Rubicond, en prêtant l’intention à Macky Sall de revenir sur son serment de ne pas se porter candidat à la magistrature suprême en 2024. La seconde raison officieuse du report de la présidentielle, serait que le président Macky Sall manœuvre pour solder ses comptes avec Karim Wade qu’il avait utilisé pour réussir le dialogue politique national en contrepartie de la possibilité qui était offerte au fils de l’ancien président de se présenter à la présidentielle mais qui, finalement, a été recalé par le Conseil constitutionnel. Le but de la manœuvre serait donc de remettre en selle un allié disqualifié qui crierait à la trahison. Enfin, la dernière raison serait une opération de diversion de l’opposition qui ne cachait plus ses velléités de présenter un front uni à l’élection en cas de second tour contre le candidat de la majorité. En l’entrainant dans des débats juridico-politiques avec le report de l’élection, elle perd de vue ses objectifs tout en dépensant inutilement ses énergies.

Cela dit, quelles que soient les raisons du report de l’élection de février 2024, une première depuis 1963, Macky Sall installe son pays dans une zone de turbulences. Et cela est particulièrement risqué quand on sait que les blessures nées de l’affaire Ousmane Sonko, tardent encore à se cicatriser. Et les prémices sont déjà bien présentes avec les réactions qui ont suivi son allocution télévisée. Pour beaucoup d’opposants au Sénégal, le report de la présidentielle ne respecte pas la forme et constitue un coup d’Etat constitutionnel contre lequel ils invitent leurs militants et concitoyens à se dresser.

Le glissement du calendrier électoral ne manquera pas de fragiliser la CEDEAO

Khalifa Sall, l’un des principaux candidats de l’opposition, par exemple, appelle toutes les forces politiques démocratiques et de la société civile à s’unir pour que le projet n’aboutisse pas et à « dresser des barricades contre la monarchisation du pouvoir ». Le Pastef de l’opposant Ousmane Sonko, tout en déniant toute légalité au report de l’élection par le président, engage ses militants à « poursuivre la campagne électorale selon les modalités prévues ». C’est donc dire que la météo politique n’est pas bonne au Sénégal et promet des tonnerres et des éclairs. Et cela, pas seulement du côté de l’opposition, mais aussi dans le camp présidentiel où le Secrétaire général du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, qui est le frère de l’un des juges incriminés du Conseil constitutionnel, a rendu sa démission pour, dit-il, recouvrer sa « pleine et entière liberté ». Mais au-delà du Sénégal, ce report de l’élection suscite des inquiétudes et certains partenaires internationaux n’ont pas tardé à réagir pour manifester leur malaise. C’est le cas des Etats-Unis mais aussi et surtout de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) que le glissement du calendrier électoral au Sénégal ne peut manquer de fragiliser. Car, Macky Sall, en effet, est l’un des piliers et l’un des démocrates bon teint de l’organisation ouest-africaine déjà ébranlée par le retrait annoncé des pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui ne manqueront pas l’occasion de dénoncer la politique « du deux poids, deux mesures » pratiquée par les chefs d’Etat de l’organisation sous- régionale.

Mais tout cela n’est que conjecture et Macky Sall semble avoir trouvé la panacée à tous ses maux annoncés : il convoquera un dialogue national pour réunir les conditions d’élections libres et transparentes dans un Sénégal apaisé. Cela dit, on peut souhaiter que le report de la présidentielle soit véritablement mis à profit pour aller vers une élection véritablement inclusive à laquelle pourront participer tous les candidats, y compris Ousmane Sonko. Ainsi, le Sénégal prouvera que les arrangements politiques sont toujours au-dessus des lois.

« Le Pays »

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