Franc-tireur du Parlement malien et soutien inconditionnel du régime de Bamako, Mamadou Hawa Gassama est incarcéré depuis le 2 juillet 2025 à Abidjan. Sous mandat de dépôt pour « outrage, incitation à la haine et déstabilisation des institutions », il sera jugé en décembre prochain par le tribunal de première instance d’Abidjan. Sa personnalité et ses prises de position, souvent musclées, l’ont rapidement rendu célèbre, mais aussi vulnérable, tant sur le plan politique que judiciaire. Pourquoi Assimi Goita aurait-il lâché sur le parvis ce député malien et membre du Conseil national de transition (CNT).
De juillet à novembre 2025, la junte de Bamako est quasiment sous une pression de plus en plus crescendo des groupes armés terroristes (GAT) qui avilissent les dispositifs militaires ainsi que déciment des villages entiers. Après Tinzaoutène, c’est le blocus du JNIM sur la route de Kayes, puis de Ségou, de Bougouni et de Sikasso, le territoire malien est aujourd’hui en grande pénurie de carburant pendant que des partenaires internationaux se désolidarisent du pouvoir de Bamako. Au four et au moulin, Assimi Goita se trouve englouti par ses instances internes et pourrait difficilement accorder une attention au dossier politico-diplomatique du député Mamadou Hawa Gassama, qui sera bientôt en procès à Abidjan.
Le député tombe tout naturellement dans la gueule du loup
Mamadou Hawa Gassama devait rentrer discrètement à Bamako après un séjour familial à Séguéla, dans le nord de la Côte d’Ivoire. La discrétion, cependant, n’a jamais été son fort. Homme au verbe haut, franc-parleur et habitué des polémiques, il a attiré l’attention des autorités ivoiriennes pour ses propos critiques à l’égard du président Alassane Dramane Ouattara. Ancien député de Yélimané, Gassama est aujourd’hui un acteur clé du CNT, l’organe législatif installé par la junte militaire dirigée par le général Assimi Goïta, successeur du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) après le double coup d’État militaire de 2020 et 2021. Son arrestation en Côte d’Ivoire a provoqué une vague de réactions politiques et diplomatiques. Conscient des risques, le Mali a rapidement confié son dossier à Me Mamadou Ismaila Konaté, avocat et ancien ministre de la Justice sous IBK. Résidant à Paris et inscrit au Barreau de Paris, Me Konaté avait fait le déplacement à Abidjan pour défendre son compatriote. « Ce matin, je lui ai rendu visite à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, accompagné de mon confrère ivoirien Cheickné Couriba et du frère aîné de Gassama, Amady Diaby », avait déclaré l’avocat. Pour lui, défendre Gassama n’est pas une question politique, mais un engagement moral et juridique : « J’ai prêté serment il y a trente ans pour défendre les personnes en détresse et lutter contre l’injustice. »
L’inculpation ivoirienne
Le député malien a été inculpé pour « offense au chef de l’État » ivoirien, après des propos diffusés en septembre 2022 sur un média malien. À l’époque, Gassama avait dénoncé le rôle du président Ouattara dans le cadre de l’embargo imposé par la CEDEAO sur le Mali. « Alassane Ouattara est un ennemi du Mali, j’ai des preuves », avait-il déclaré, suscitant l’indignation à Abidjan. Ces propos, en bambara, sont venus s’ajouter à plusieurs vidéos et publications sur les réseaux sociaux où le parlementaire malien n’épargne ni le chef de l’État ivoirien ni son régime. Le Code pénal ivoirien prévoit de trois mois à deux ans d’emprisonnement pour offense au chef de l’État et un à cinq ans pour injure via les médias ou les réseaux sociaux. La justice ivoirienne a également retenu les accusations de « fausse déclaration », en estimant que les propos de Gassama constituaient un appel à la déstabilisation des institutions et à l’insurrection.
Me Konaté, dans sa stratégie de défense, plaide l’âge avancé de son client, son état de santé, sa qualité de membre du CNT et sa nationalité étrangère, tout en rappelant que Gassama n’a jamais cherché à échapper à la justice.
Cette affaire advient alors que les relations tendues entre Bamako et Abidjan. Depuis le double coup d’État de 2020 et 2021, les rapports diplomatiques entre les deux pays se sont détériorés. L’arrestation en juillet 2022 de 49 soldats ivoiriens de la mission de l’ONU au Mali avait déjà provoqué un incident majeur. Accusés de mercenariat par les autorités maliennes et condamnés à 20 ans de prison, les soldats ont été graciés six mois plus tard, mais l’épisode a durablement fragilisé la confiance entre les deux États. Le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly, avait souligné lors de son point de presse du 30 juillet 2025 que Mamadou Hawa Gassama n’était pas porteur d’un passeport diplomatique au moment de son arrestation. Selon lui, le statut parlementaire ne garantit pas automatiquement une immunité hors du territoire national. Le conseil juridique de Gassama a réagi pour le respect des procédures et la neutralité de la justice ivoirienne.
Le soutien constant de la famille
La famille de Gassama, par la voix de son frère aîné Amady Diaby, avait tenu à présenter des excuses publiques au président Ouattara et au peuple ivoirien. Elle est revenu sur le fait en confessant que Mamadou Hawa Gassama n’est ni l’ennemi de la Côte d’Ivoire ni du président ivoirien et que ses propos relevaient d’un débat politique et non personnel. Le frère aîné avait noté que Gassama avait activement participé à la campagne présidentielle de 2011 pour le parti du président Ouattara au Mali, pour notifier ses liens historiques avec la Côte d’Ivoire. La défense, quant à elle, table sur les liens culturels et historiques qui unissent Maliens et Ivoiriens. Me Konaté cite Félix Houphouët-Boigny : « Le Mali et la Côte d’Ivoire sont comme la cola et le sel. Une fois la cola mâchée, c’est avec le sel que l’on se racle la gorge. » Pour l’avocat, ces liens devraient inciter à une approche équilibrée et prudente dans le traitement de l’affaire, afin de préserver la diplomatie et la fraternité régionale.
Outre la défense juridique, Me Konaté avait profité de son intervention pour critiquer la Transition malienne. Selon lui, le pays s’enfonce dans une « spirale de tourmente », causée par une gestion centralisée et brutale du pouvoir par certains dirigeants, qu’il qualifie d’artisans d’un « désastre historique ». L’avocat avait décrit le général Assimi Goïta comme un « patient démolisseur », capable de fragiliser les institutions progressivement, sans confrontation directe, mais par une érosion méthodique du cadre républicain. L’avocat plaide pour un sursaut collectif et la réinvention d’un consensus national fondé sur la justice, la solidarité et une démocratie réelle, seule manière de redonner de l’espoir à la jeunesse malienne. En attendant son jugement, prévu pour décembre 2025, Gassama reste incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, sans la moindre assistance directe de Bamako. Malgré la détention, il se dit serein et confiant dans la justice.
DJOMANDE Aziz
