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Journalistes de Guinée, demandons pardon à Alpha Condé

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Alpha Condé, président de la république de Guinée du 21 décembre 2010 au 5 septembre 2021.

Il faut avoir le courage de le dire : Alpha Condé a été diabolisé, lynché médiatiquement, cloué au pilori par la presse guinéenne qui aujourd’hui s’aplatit devant une junte militaire illégale et illégitime. Les journalistes, les leaders politiques, une partie des citoyens, tous s’étaient ligués pour faire de lui la bête noire à abattre. On l’a insulté, caricaturé, traité de tous les noms d’oiseaux. Son troisième mandat, certes contestable, a servi de prétexte à une vaste campagne de démolition systématique sans nuance, alimentée par des plumes complaisantes de la presse et des émissions commanditées par l’hypocrisie d’opposants pressés de goûter au pouvoir, et qui soutiennent actuellement la dictature féroce parce qu’ils sont désormais à la mangeoire.

Et pourtant, les faits sont têtus : durant ses 11 années au pouvoir, Alpha Condé est resté, malgré ses erreurs, le seul président guinéen à avoir ouvert l’espace public, permis l’expression libre, toléré la critique, accepté l’insolence même. On le vilipendait chaque jour à la radio, à la télévision, dans les rues. On l’a défié sans être systématiquement traqué, emprisonné ou réduit au silence. Voilà la vérité que les consciences honnêtes doivent admettre aujourd’hui : Alpha Condé était, paradoxalement, le véritable démocrate dans un pays qui n’avait jamais connu autant de libertés depuis son indépendance.

Aujourd’hui, le contraste est brutal et même insupportable. Depuis le 5 septembre 2021, la Guinée est plongée dans une nuit sombre remplie de cauchemars : arrestations arbitraires, kidnappings, disparitions forcées, tortures humaines, répression, oppression et assassinats ciblés. Tout se passe au rythme de la désacralisation de la dignité humaine et des valeurs républicaines. Opposants et journalistes réduits au silence, médias bâillonnés, justice enterrée, droits des citoyens bafoués, constitution privatisée, libertés écrasées sous les bottes sanglantes. Plus personne n’ose critiquer. Plus personne n’ose manifester. Plus personne n’ose dénoncer. Les leaders politiques, autrefois messagers de la démocratie sous Alpha Condé, se sont alignés et agenouillés, par cupidité devant la junte, dans sa volonté de confisquer le pouvoir, quel qu’en soit le prix et les conséquences pour le pays. Les journalistes se sont tus, préférant la servitude à la dignité. Quant aux citoyens, désabusés ou terrorisés, ils se sont résignés, réduits en statues de marbre.

Bref, il faut dire que la Guinée « rebelle », celle qui osa dire « Non » à De Gaulle, se laisse aujourd’hui recoloniser dans une indignité semblable à celle que les colons blancs nous avaient imposée. La mémoire de nos aïeux a été souillée par l’immoralité, et le sang des martyrs de la lutte pour la dignité et la démocratie a été banalisé, profané, réduit à néant par l’asservissement de notre peuple aux princes autoproclamés dont le seul diplôme reste la violence des armes.

Voilà où nous a mené l’acharnement aveugle contre Alpha Condé : à livrer le pays pieds et mains liés à l’une des dictatures les plus cyniques du moment. Alpha Condé, cible privilégiée d’hier, qu’on accusait de tous les maux, a été brutalement évincé par des bourreaux qui détruisent la République en silence sans foi ni loi, sans contre-pouvoir, sans contre-discours. Et chacun, par son alignement ou par son silence, porte la responsabilité de cette tragédie honteuse.

Moi-même, je le confesse, j’ai participé à ce lynchage médiatique, mais avec conviction. J’ai cru, en combattant Alpha Condé, servir la démocratie, la justice sociale et la vérité du peuple. Mais aujourd’hui, le constat est implacable : nous nous sommes trompés d’adversaire. Nous avons combattu celui qui, malgré ses défauts, avait permis davantage de libertés, pour livrer le pays à ceux qui l’étouffent cruellement et sans vergogne. C’est pourquoi nous, journalistes, devons continuer à lutter pour rendre à notre peuple ce qui lui a été arraché de plus cher par notre complicité : la dignité, la liberté et la souveraineté.

Alors oui, journalistes de Guinée, il est temps de faire acte d’humilité : demandons pardon à Alpha Condé. Non pas pour sanctifier son bilan ou effacer les fautes de son régime, mais parce que notre acharnement d’hier et notre silence d’aujourd’hui nous condamnent deux fois. Parce que nous avons failli à notre mission sacrée : être la voix du peuple, la sentinelle de la République, la conscience critique de la nation, et non les bras médiatiques des fossoyeurs qui nous répriment dans la terreur.

L’histoire jugera. Mais déjà, le peuple sait et il n’oubliera pas que ceux qui ont crié à la dictature hier se taisent devant la tyrannie aujourd’hui en sacrifiant la vérité sur l’autel de la peur, du confort, et de la compromission.

Mamoudou Babila KEÏTA
Journaliste d’investigation
Éditorialiste – Voix libre en exil

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