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CANADA-Brouteurs: Un Ivoirien de 26 ans, a volé plus d’un million de dollars à deux retraitées québécoises.

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L’arnaque amoureuse ? C’est leur spécialité. Mais ce n’est pas tout. Au Québec, un réseau de criminels africains impliqué aussi dans l’exportation de véhicules volés s’est développé et professionnalisé. Et ses membres débarquent comme faux étudiants.

C’est un sujet que tout le monde connaît. L’arnaque en ligne. Qui n’a jamais reçu un courriel provenant d’une riche héritière ayant besoin d’argent pour toucher son dû, qu’elle promet de partager ? Ou d’une personne à la recherche d’un amour virtuel franc et sincère ?

Tristement célèbre depuis longtemps, la fraude amoureuse a grandement évolué. Et elle s’est professionnalisée, au point de générer des centaines de millions de dollars rien qu’au Canada. À tel point qu’un réseau criminel francophone, qualifié de crime organisé africain par les autorités canadiennes, s’est emparé de cette industrie lucrative.

Radio-Canada a obtenu des centaines de documents confidentiels, des rapports d’enquête, des organigrammes, des photos, des vidéos et des analyses financières illustrant comment cette organisation a réussi à développer ses activités au Canada et à transférer des sommes conséquentes en Afrique.

C’est un réseau tentaculaire avec des ramifications partout au Canada, décrit Karine Caron, analyste de renseignement pour l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Cette dernière multiplie, depuis des mois, les témoignages dans des audiences judiciaires pour détailler le rôle de ces individus, principalement issus de la Côte d’Ivoire et du Bénin.

De fil en aiguille, je me suis rendu compte qu’on était en présence d’une énorme organisation criminelle.

Une citation de Karine Caron, analyste de renseignement à l’ASFC

Plus de 200 membres de cette organisation vivent actuellement au Québec, glisse-t-elle. Mais toutes les semaines, on découvre de nouveaux membres au pays et on se rend compte qu’ils sont bien enracinés au Québec, prévient-elle. On ne connaît que la pointe de l’iceberg. C’est inquiétant.

Ses homologues internationaux, qui se penchent aussi sur ce phénomène, parlent même d’une mafia africaine, ajoute Karine Caron.

Arrivé au Canada comme étudiant, l’Ivoirien Mamadou Berthe a fraudé plusieurs victimes au Québec et a été impliqué dans l’exportation de véhicules volés, avant d’être expulsé à la fin du mois d’août.
PHOTO : GRACIEUSETÉ : SERVICE DE POLICE DE LA VILLE DE MERCIER

Le permis d’études comme porte d’entrée

Pour entrer au Québec, ces criminels, souvent âgés entre 20 et 30 ans, ont su berner les autorités et le ministère fédéral de l’Immigration. La grande majorité d’entre eux obtiennent un permis d’études pour des universités souvent situées en région, comme celles du Québec à Trois-Rivières (UQTR), à Chicoutimi (UQAC) ou en Outaouais (UQO).

Ce visa n’est qu’une belle opportunité pour arriver au Québec, avance Karine Caron, car en réalité, ces fraudeurs ne mettent, la plupart du temps, jamais les pieds dans ces établissements. Cette technique semble fonctionner, puisqu’il n’existe aucun processus de vérification automatique des présences auprès des étudiants étrangers, reconnaît Immigration Canada.

Une telle responsabilité incombe directement aux établissements, qui peuvent prévenir les autorités fédérales, affirme un porte-parole d’Immigration Canada, tout en mentionnant que l’éducation au Canada relève de la compétence des provinces et des territoires.

Ils étaient membres d’une organisation [criminelle] outre-mer et ont profité du permis d’études pour pouvoir entrer au Canada.

Une citation de Karine Caron, analyste de renseignement à l’ASFC


Ils ont détecté une faille dans le système pour entrer avec un statut d’étudiant. D’après moi, le mot se passe et on va en voir de plus en plus
, s’inquiète Nancy Simoneau, sergente-détective à Mercier à l’origine de l’arrestation de Mamadou Berthe. Cet Ivoirien de 26 ans, installé à Montréal avant son arrestation, a volé plus d’un demi-million de dollars à deux retraitées québécoises.

Mais en consultant ses comptes bancaires, on a découvert au total 20 victimes. Je n’en connaissais que deux, les autres n’ont pas porté plainte. On peut estimer qu’il a volé plus d’un million de dollars, présume la policière.

Un profil plus crédible

Depuis leur implantation au Québec, ces arnaqueurs professionnels ont affiné leurs méthodes, mises au point au départ dans les cybercafés de villes africaines, comme Abidjan, en Côte d’Ivoire.

Après un premier contact numérique, souvent à travers un courriel ou Facebook, ils entraînent leurs interlocuteurs sur une autre messagerie, comme WhatsApp, Teams, Snapchat ou Google Chat, afin de les isoler, de les mettre en confiance, puis de leur demander de l’argent.

Difficile néanmoins d’avoir une idée précise du montant total volé à leurs victimes canadiennes. Selon le Centre antifraude du Canada, près de 60 millions de dollars ont été perdus l’an passé pour des fraudes amoureuses. Un chiffre largement sous-estimé.

On serait plus proche du demi-milliard de dollars qui transite par le crime organisé africain, selon les services frontaliers. On estime que seulement 10 % des victimes portent plainte, soutient Karine Caron. Ce n’est donc que la pointe de l’iceberg qu’on est en train d’observer.

Car ces fraudeurs réussissent là où leurs collègues restés en Afrique échouent régulièrement : la crédibilité de leur histoire. Le format, comme on l’appelle dans le milieu. Ils peuvent parler du quartier des victimes, de la météo locale, du climat politique et social, etc. Grâce à leur proximité géographique, ils sont aussi capables d’échanger sans le moindre décalage horaire, à des heures régulières.

D’autres méthodes sont également employées. Radio-Canada a obtenu des centaines de conversations vocales sans complexes entre un supposé étudiant ivoirien de Trois-Rivières, Aboubacar Diallo, et ses complices, basés notamment à Abidjan.

Aboubacar Diallo est arrivé au Québec comme étudiant de l’Université du Québec à Trois-Rivières. En août 2025, il a été «reconnu interdit de territoire au Canada» par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.
PHOTO : PHOTO ISSUE DE DOCUMENTS JUDICIAIRES

Pour appâter ses nombreuses victimes, ce réseau fait livrer des cadeaux à leur domicile (des fleurs, des toutous ou du chocolat). La production et l’envoi de faux documents (contrat notarié, testament ou facture d’hôpital), plus réalistes les uns que les autres, sont également monnaie courante pour soutirer des sommes importantes en jouant sur la corde de l’émotion.

Aboubacar Diallo a finalement été reconnu interdit de territoire au Canada à la fin du mois d’août, indique l’Agence des services frontaliers pour des motifs de criminalité organisée et de blanchiment d’argent.

Ce sont maintenant des fraudes haut de gamme, bien montées, souligne le chercheur de l’UQTR, Charles Viau-Quesnel, auteur d’une étude sur l’arnaque amoureuse.

Ce sont des fraudes qui prennent plus de temps, mais pour lesquelles le gain potentiel est beaucoup plus élevé.

Une citation deCharles Viau-Quesnel, chercheur à l’UQTR

Il y a beaucoup de preuves matérielles qui sont présentées, des rapports médicaux, des documents en apparence officiels. On voit, sans aucune hésitation, une augmentation de la qualité, confirme-t-il.

Dans certains cas, le groupe criminel fait même appel à des complices féminines, également ressortissantes temporaires. Celles-ci s’occupent d’appeler et de discuter tous les soirs avec leurs victimes masculines. Elles sont donc la voix derrière ces faux profils.

Du blanchiment au financement du terrorisme

Si le trucage de photos ou de vidéos n’a pas de secret pour le crime organisé africain, la production de fausses identités non plus. Certains criminels possèdent de multiples passeports africains. Ces documents leur permettent d’ouvrir plusieurs comptes bancaires dans différentes institutions financières canadiennes.

Dans une affaire récente, les services frontaliers ont découvert une vingtaine de fausses identités pour un seul membre du crime organisé africain. De son côté, Mamadou Berthe, qui a finalement été expulsé à la fin du mois d’août, possédait des passeports de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Mali et de la Guinée.

Avec ces identités, l’argent se promène entre les comptes. C’est comme une immense toile d’araignée, détaille Nancy Simoneau.

Ce réseau est très structuré. L’argent, quand il est pris des victimes, est rapidement transféré dans différents comptes, puis acheminé en Afrique.

Une citation deNancy Simoneau, sergente-détective au Service de police de Mercier

Pour transférer ces fonds, ils utilisent des applications de transfert, comme Moneygram, Western Union, WorldRemit, Orange Money. Des investissements en cryptomonnaies ont aussi été détectés.

Parfois, ils se servent aussi du compte bancaire d’une victime, qui participe alors, à son insu, à ces flux illégaux visant à blanchir l’argent de ces fraudes vers la Côte d’Ivoire et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.

Des compatriotes, résidents permanents canadiens, sont également mis à contribution. Par le biais de leur statut d’immigration, ils ont pu créer des entreprises permettant d’optimiser le blanchiment, que ce soit via des firmes d’immigration, de transferts de fonds ou des concessionnaires de véhicules d’occasion.

En analysant les téléphones de membres du crime organisé africain, les autorités ont découvert des individus, installés au Québec et à l’identité inconnue, exhibant de multiples billets de banque.
PHOTO : PHOTO ISSUE DE DOCUMENTS JUDICIAIRES

D’après les renseignements des services frontaliers canadiens, le crime organisé africain participerait notamment au financement d’activités terroristes. Des liens avec l’organisation libanaise du Hezbollah, qui serait actif en Côte d’Ivoire, ont également été repérés.

Il y a une mafia ivoirienne qui est en train de se constituer, explique le criminologue ivoirien Ladji Bamba. Et chaque entité du crime organisé a des connexions avec d’autres entités.

Maître de conférence à l’Université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, ce chercheur étudie l’évolution de ce réseau criminel, qui copie des méthodes déjà vues dans des pays voisins anglophones, comme le Nigeria. Cette mafia ivoirienne est jeune, mais elle fait peur. On se demande ce qu’elle représentera dans 10 ans. C’est à prendre au sérieux.

Exportation de véhicules volés canadiens vers l’Afrique

L’arnaque amoureuse n’est qu’une branche, certes importante et lucrative, du crime organisé africain. Outre la production de faux documents et le blanchiment d’argent, cette organisation s’est spécialisée dans la fraude bancaire au sens large.

Un producteur agricole de la Montérégie a par exemple perdu un million de dollars en une seule nuit. Le montant total a été fractionné en plus d’une centaine de transactions, afin de rester sous les radars de l’institution financière.

Ce type de fraude, par possession de compte, ce sont des gros montants, soutient Karine Caron. Encore cette semaine, une autre entreprise a perdu 700 000 $.

Les véhicules volés, expédiés vers l’Afrique, sont cachés dans des conteneurs, souvent avec des matelas.
PHOTO : GRACIEUSETÉ : ASFC

Le trafic de stupéfiants, le proxénétisme et le vol de véhicules, principalement en Ontario et au Québec, sont d’autres activités du crime organisé africain. Plusieurs de leurs membres, basés au Québec, ont également été repérés dans l’exportation de ces voitures entre le port de Montréal et celui d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.

L’organisation policière Interpol a d’ailleurs retrouvé ce printemps, dans les rues d’Abidjan, des dizaines de véhicules arrivés illégalement du Canada.

Interpellés sur ce sujet, les autorités et le gouvernement ivoirien ont décliné nos questions. La Côte d’Ivoire fait des efforts, mais elle peut mieux faire. C’est une histoire de volonté politique, c’est tout, estime Ladji Bamba.

Le Québec, reprend-il, est désormais devenu un eldorado pour ces criminels africains. Les battements d’ailes d’un papillon en Côte d’Ivoire peuvent créer des tsunamis, même au Canada, lance-t-il. La plupart des Canadiens voyaient cette criminalité de loin, mais elle est aujourd’hui sur votre territoire.

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