Tarifs douaniers américains : un bouleversement du commerce mondial jamais vu

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Les tarifs douaniers du président américain Donald Trump ébranlent le système de commerce mondial. Les Canadiens sont préoccupés, à juste titre, par leur impact dévastateur sur leurs relations avec leur voisin, mais ses répercussions planétaires pourraient s’avérer tout aussi dommageables.

Désormais frappés de tarifs, des milliards de dollars d’exportations initialement destinées aux États-Unis seront détournés vers d’autres marchés, y compris celui du Canada. Cette réorientation historique mettra à rude épreuve tous les pays, y compris les plus libre-échangistes.

Or, une sortie de crise demeure possible. Car les règles de commerce mondial, qui assurent la prospérité du monde depuis l’après-guerre, ont prévu en partie ce scénario. En cas d’afflux soudains d’importation, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) autorise des mécanismes qui permettent de composer avec la situation sans tout remettre en cause. Tous les pays devront faire face à la tempête, mais le système peut tenir si les gouvernements ne cèdent pas à la panique.



Le mur américain

Les États-Unis ont été, pendant longtemps, le plus grand marché de consommation au monde, en partie grâce à des tarifs douaniers moyens de seulement 3,3 %. En 2024, environ 15 % des importations mondiales leur étaient destinées.

Cette époque est révolue depuis le 2 avril avec une hausse stupéfiante qui a multiplié par sept la moyenne des tarifs américains. Ceux-ci ont atteint 22 %, soit le niveau le plus élevé parmi les grandes économies marchandes.

Même si le gouvernement de Donald Trump a depuis suspendu ses tarifs « réciproques » pour tous les pays, sauf la Chine, et exempté téléphones intelligents, ordinateurs et microcircuits, un tarif de base de 10 % et plusieurs droits de douane sectoriels restent en vigueur.

Le tout forme un mur tarifaire autour des États-Unis comme on n’en a pas vu depuis des générations.

Le grand rebrassage des échanges

Le gros des perturbations viendra de la Chine. En 2024, celle-ci exportait pour 438,9 milliards de dollars de marchandises vers les États-Unis. Jusqu’à présent, des millions de colis, issus du commerce électronique, avaient été exemptés de droits de douane s’ils étaient inférieurs au seuil « de minimis » de 800 dollars.

Depuis le 2 avril, Donald Trump a supprimé cette franchise pour les exportations chinoises. Les tarifs réciproques de 34 % sur toutes les importations chinoises frapperont aussi les plates-formes de commerce électronique, telles Shein.

En réaction aux mesures de rétorsion chinoises annoncées le 4 avril, les États-Unis ont rehaussé leurs propres tarifs, lesquels s’ajoutent à un autre tarif de 20 % lié au fentanyl. En tout, les exportateurs chinois subissent un taux effectif de plus de 100 %, un niveau prohibitif.

Une personne porte sur son épaule une boîte en carton sur laquelle est inscrit « Fabriqué en Chine »
Dans le District des jouets, à Los Angeles, un travailleur trimbale une caisse d’accessoires de fêtes. (AP Photo/Jae C. Hong)

Lors du dernier épisode de tensions commerciales sino-américaines, les exportateurs chinois s’étaient tournés vers l’Asie du Sud-Est. Cette fois-ci, cependant, ces mêmes pays sont aussi durement touchés.

Le Vietnam, grand bénéficiaire des investissements d’exportateurs chinois, a vendu pour 137 milliards de dollars de marchandises aux États-Unis. Les Américains, même s’ils ont suspendu leurs tarifs « réciproques » de 46 % contre le Vietnam, ne toléreront sans doute pas une nouvelle tentative de contournement.

Les tarifs américains frappent également toutes les automobiles importées à hauteur de 25 %, ce qui touche de grands exportateurs, comme la Corée du Sud, le Japon et l’Allemagne. Certaines de ces exportations pourront se maintenir si les tarifs sont absorbés dans le coût ou si les clients acceptent de payer plus cher. Autrement, ces exportations seront redirigées ailleurs.

Au total, les marchés mondiaux devront faire face à un véritable raz de marée de marchandises détournées se chiffrant en centaines de milliards de dollars.

Une nouvelle Grande Dépression

Le monde a déjà joué dans ce film. Dans les années 1930, les États-Unis avaient augmenté les tarifs douaniers sur 20 000 produits importés à travers la Loi Smoot-Hawley. Cette loi, qui visait à protéger les industries américaines frappées par la Dépression, a entraîné la contraction rapide du commerce mondial.

Cet effondrement n’était pas le résultat des représailles, mais plutôt l’effet de domino alors que tous les pays se sont refermés sur eux-mêmes. Confrontés au détournement généralisé des marchandises, tous les pays ont adopté leurs propres restrictions afin de protéger leur propre industrie.

C’est le risque qui nous guette aujourd’hui : non pas les tarifs de Donald Trump, ni les représailles, mais une éventuelle vague de protectionnisme déclenchée par le flot des marchandises détournées.

Graphique illustrant comment les droits de douane ont entraîné une baisse du commerce mondial entre 1929 et 1933
Alors que les pays érigeaient des barrières protectionnistes, le commerce mondial a décliné de mois en mois entre 1929 et 1933, aggravant la Grande Dépression. (Wolfgang Alschner, d’après les données The World in Depression 1929-1939 by Charles P. Kindleberger)

Vieilles craintes, nouvelles pressions

La situation actuelle est peut-être plus précaire aujourd’hui qu’au début des années 1930.

Depuis une décennie, les dirigeants occidentaux, y compris les membres du G7, tirent la sonnette d’alarme au sujet des « capacités excédentaires » chinoises. La Chine, qui consomme très peu et importe peu, dépend beaucoup trop de ses exportations, si bien qu’elle recourt à des mesures déloyales, telles que des subventions secrètes, pour casser ses prix sur les marchés étrangers.

Les craintes de désindustrialisation ont déjà conduit certains gouvernements à mettre en place des mesures protectionnistes. En 2024, le Canada a ainsi imposé un tarif de 100 % sur les véhicules électriques chinois afin de protéger sa propre industrie naissante. Un détournement massif d’importations chinoises ne pourra qu’augmenter ces préoccupations antérieures à la présente crise.

Un véhicule électrique se recharge à une borne de recharge pour véhicules électriques
Une station de recharge de véhicules électriques à Pékin en juin 2024. (AP Photo/Andy Wong)

Par ailleurs, les règles de commerce censées protéger contre le protectionnisme se sont fragilisées. À l’OMC, chargée de faire respecter ces règles, les États-Unis bloquent la nomination des juges de son Organe d’appel, sa plus haute instance.

L’impunité qui en résulte encourage certains pays à bafouer les règles. L’Indonésie, par exemple, interdit les exportations de nickel, ce qui est incompatible avec les règles de l’OMC — tout comme d’ailleurs la taxe canadienne sur les véhicules électriques chinois, qui sera probablement jugée illégale.

La croisée des chemins

Cette réorientation généralisée des flux commerciaux représentera une grande épreuve pour un système déjà sous tension. Il n’est pas trop tard pour que les pays réaffirment leur engagement à respecter les règles de commerce — d’autant que ces mêmes règles prévoient déjà des exceptions permettant de faire face à des afflux soudains d’importations.

Il est possible pour le Canada d’anticiper la situation en identifiant les secteurs vulnérables. Le gouvernement peut alors demander à son Agence des services frontaliers du Canada de déclencher une enquête. Celle-ci permet alors de franchir rapidement les obstacles procéduraux pour imposer des restrictions temporaires à l’importation — si la chose est justifiée.

Si les pays s’en tiennent aux règles, le système de commerce mondial pourra résister à la tempête. Cependant, un dérapage protectionniste demeure possible, surtout en cas de panique. Face au déluge de marchandises chinoises, la tentation sera grande d’imiter les États-Unis en érigeant des barrières commerciales illégales.

L’économie mondiale se trouve donc à la croisée des chemins. Une voie mène à l’escalade de mesures protectionnistes et à une contraction généralisée du commerce mondial. L’autre voie repose sur la réaffirmation de la coopération internationale et des règles de commerce auxquelles nous devons des décennies de croissance et de stabilité économiques.

Wolfgang Alschner

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