Au cours des quatorze dernières années, la dette publique de l’Afrique a augmenté d’environ 160%. Face aux besoins colossaux de financements pour le développement du continent, les dirigeants africains entendent plaider pour l’annulation de cette dette. Objectif : financer les projets structurants au moment où l’argent se fait rare sur les marchés en proie aux tensions internationales.
Il est désormais question d’« une intervention urgente » pour briser le cercle vicieux de la dette africaine, selon Patrick Ndzana Olomo – directeur du développement économique, de l’intégration et du commerce de la Commission de l’Union africaine (UA) – en marge de la première conférence de l’UA africaine sur la dette publique qui s’est tenue la semaine dernière à Lomé. « La dette publique africaine s’est fortement accrue au cours de ces dernières décennies. […] Environ deux tiers des ressources sont consacrés au paiement des intérêts de la dette. De ce point de vue, on ne peut plus financer de manière aisée les projets structurants dans l’éducation, la santé et dans les autres domaines tels que les infrastructures qui sont un facteur important pour accélérer la croissance et permettre à l’Afrique de se développer », a expliqué le dirigeant.
Une dette hausse de 160% en 14 ans
Si elle était en effet de 112 milliards de dollars en 1980, trente ans plus tard – en 2010 – la dette publique du continent est passée à 436 milliards de dollars, pour exploser à environ 1130 milliards de dollars en 2024. Ainsi en quatorze ans, la dette publique africaine a augmenté de d’environ 160%. Les ambitions de développement se sont souvent heurtées aux réalités internationales, souvent faites de crises -tant sur le plan financier, que conjoncturel, sanitaire ou même sécuritaire et commercial. Alors que les besoins de financement du développement sont colossaux, tous ces défis – qui nécessitent souvent des réponses urgentes et occasionnent une raréfaction des financements à l’international – accentuent les challenges du continent. Cette année uniquement, les pays doivent mobiliser près de 100 milliards de dollars pour le service de la dette.
Les dirigeants de l’UA remettent ainsi sur la table des discussions un sujet qui a fait (intensément) débat il y a quelques années, notamment en 2020 lorsque l’économie planétaire est paralysée par la Covid. Les ressources financières importantes nécessaires à la survie sanitaire et sociale mettent davantage de pression sur les finances publiques des pays du continent qui se voient court-circuités dans leur élan de croissance qui, dans certains cas, atteint des sommets. Plusieurs personnalités du continent et d’ailleurs réclament alors une action en faveur des finances publiques africaines. Le pape François s’y met également et plaide pour l’annulation de la dette publique africaine. Dans la foulée, le G20 suspend le service de la dette de 40 pays du continent pour leur permettre de gérer la crise sanitaire.
La dette, « un problème mondial »
Mais depuis ces années, l’annulation de dette publique africaine n’a pas toujours fait l’unanimité y compris sur le continent, d’aucuns estimant que payer ses dettes relèveraient de la dignité et de la souveraineté. Mais le ministre togolais de l’Economie et des Finances regrette que la dette soit perçue différemment quand il s’agit du continent. « La dette africaine a été considérée pendant longtemps comme une honte », a-t-il fait remarquer, rappelant les déboires de son propre pays en la matière. « A l’instar des autres pays, le Togo a expérimenté les complexités de la gestion de la dette, les pressions budgétaires qui en découlent et la recherche d’un équilibre entre le service de la dette et les investissements nécessaires au développement », a-t-il relaté, estimant qu’une solution pérenne relève de l’urgence.
Pour couper court il y a quelques années, alors que le débat battait son plein, l’économiste et ancien secrétaire exécutif de la Commission des Nations Unies pour l’Afrique, Carlos Lopes, a rappelé « la non-africanité » de ce sujet. « Le problème de la dette existe dans toutes les régions du monde, y compris les pays les plus riches de la planète. Ces régions ont des niveaux de dette historiques, qui dépassent de loin leur PIB », déclarait-il dans un entretien avec La Tribune Afrique, ajoutant qu’« il va donc falloir revoir la manière dont on traite la question de la dette publique dans son ensemble. Ce n’est plus un problème africain, mais un problème mondial ».
Respect des engagements d’une part, flexibilité d’autre part
En Afrique, les besoins d’infrastructures de tout genre sont encore nécessaires alors qu’outre l’électrification des 600 millions de personnes encore privées d’énergie, le continent poursuit son industrialisation dans un contexte de changements climatiques. Si le partenariat public – privé et l’amélioration de la gestion fiscale émergent ces dernières années comme salutaires afin d’alléger la pression budgétaire sur les Etats, les pays défendent toujours l’idée de l’endettement. Reconnaissant la nécessité pour les Etats africains de respecter leurs engagements auprès de leurs créanciers, le président John Dramani Mahama du Ghana a également appelé le système multilatéral à « être flexible et aligné aux priorités domestiques de développement ».