Uber a annoncé son retrait de Côte d’Ivoire après six ans d’activités. Une décision qui interroge sur la concurrence, la régulation et l’adaptation des modèles étrangers au marché ivoirien.
Après six années de présence, Uber a mis fin à ses activités en Côte d’Ivoire. Le géant américain des voitures de transport avec chauffeur (VTC) a annoncé son retrait du marché ivoirien, via un message adressé à ses utilisateurs et chauffeurs.
« À compter d’aujourd’hui, le 25 septembre 2025, l’application Uber ne sera plus disponible en Côte d’Ivoire », a écrit l’entreprise, exprimant sa « reconnaissance » pour l’accueil reçu depuis 2019. Le groupe a remercié ses clients « d’avoir fait partie de [son] histoire en Côte d’Ivoire », sans toutefois donner de précisions sur les raisons de son départ.
Un marché pourtant en forte croissance
Uber avait lancé officiellement son service en décembre 2019 à Abidjan, première ville d’Afrique de l’Ouest à accueillir son application. Les dirigeants du groupe américain estimaient alors que la capitale économique ivoirienne, forte de 5 millions d’habitants, disposait de la « taille parfaite » pour ce type de service. Le marché du transport urbain y est en effet dominé par des taxis traditionnels et un réseau de transport public limité.
La société, implantée dans plus de 700 villes dans le monde, avait mené une phase pilote à Abidjan dès 2018, durant laquelle environ 50 000 usagers avaient testé son application. À l’époque, elle arrivait sur un marché déjà occupé par la start-up ivoirienne Taxijet, l’estonien Bolt, ou encore Yango, filiale du russe Yandex.
Selon un rapport publié en 2024 par Africa Data Intelligence, les habitants d’Abidjan dépensent environ 4 milliards de FCFA (7,15 millions de dollars) par jour pour leurs déplacements, soit près de 1 200 milliards FCFA par an. Les applications de VTC, dont Uber, Yango, Heetch et Indrive, avaient généré 600 millions FCFA de revenus en 2023.
Le marché apparaissait donc prometteur. En janvier 2025, Uber avait d’ailleurs reçu l’autorisation officielle d’opérer aux côtés de Yango et Heetch, sous la supervision de l’Autorité de régulation du transport intérieur (ARTI) et de la Direction générale des transports terrestres et de la circulation (DGTTC). L’américain a pourtant décidé de plier bagages.
Les causes d’un retrait
Officiellement, Uber a expliqué qu’il s’agissait d’une « décision difficile », mais « en cohérence avec la stratégie globale » du groupe, visant à concentrer ses ressources sur des « marchés clés » pour assurer une « croissance à long terme ». Cependant, plusieurs facteurs sont avancés par les observateurs du secteur.
La concurrence accrue des acteurs locaux et régionaux constitue l’une des principales raisons. Yango, présent plus tôt sur le marché, a adopté une stratégie d’adaptation locale, avec des tarifs compétitifs et un recrutement massif de chauffeurs. Heetch et Indrive ont également renforcé leur présence, offrant des options plus flexibles aux usagers.
« Le prix reste le roi. Yango et Heetch ont pris le marché avec des tarifs cassés. Résultat : Uber est resté “premium” dans un pays où la majorité cherche le trajet le moins cher. Le chauffeur est aussi le vrai client. Si les chauffeurs ne gagnent pas assez, ils migrent vers la concurrence », analyse un spécialiste du marché.
Le modèle tarifaire d’Uber, jugé relativement élevé, a souvent été critiqué par une partie des clients. « À Abidjan, les usagers privilégient avant tout l’accessibilité et la disponibilité. Uber n’a pas toujours pu répondre à ces attentes », analyse Alex Zan Bi, co-fondateur de Léwaspace.
Du côté des chauffeurs, les conditions de paiement ont suscité des frustrations. Dans une économie largement informelle et dépendante du cash, beaucoup d’entre eux attendaient un versement rapide de leurs gains pour couvrir leurs dépenses quotidiennes. Les délais pratiqués par Uber ont souvent été perçus comme un obstacle.
Enfin, la régulation du secteur s’est renforcée ces dernières années. L’obtention de licences, la conformité aux normes locales et la pression croissante des taxis traditionnels ont complexifié l’exploitation du service.
La Côte d’Ivoire devient ainsi le premier pays africain où Uber se retire complètement. Ce n’est pas le premier revers du groupe sur le continent : en 2022, il avait déjà suspendu ses activités en Tanzanie, confronté à des obstacles réglementaires.
Uber reste toutefois présent dans d’autres grands marchés africains, notamment au Nigeria, au Ghana, au Kenya et en Afrique du Sud. Mais dans ces pays également, la société est confrontée à des revendications de chauffeurs et à des tensions autour de son modèle économique.
Un champ libre pour la concurrence
À Abidjan, ce retrait laisse désormais davantage de place à ses concurrents. Yango consolide sa position dominante avec plusieurs dizaines de milliers de chauffeurs et une couverture quasi totale de la capitale. Heetch et Indrive comptent également capter une part accrue de la clientèle laissée par Uber.
Pour les experts, ce départ illustre une réalité : les modèles importés ne suffisent pas. « Le succès d’une plateforme repose sur sa capacité à s’adapter aux spécificités locales », rappelle un analyste. « La proximité avec le marché, la flexibilité et la compréhension des habitudes des usagers sont déterminantes. »
Le retrait d’Uber marque donc la fin d’un chapitre pour le secteur ivoirien des VTC. Mais il ne remet pas en cause le potentiel de croissance du marché, qui reste l’un des plus dynamiques de la sous-région. Pour les acteurs encore présents, l’enjeu sera de capitaliser sur ce vide laissé par l’américain, tout en répondant aux attentes d’une clientèle en quête de solutions de transport accessibles et adaptées à ses besoins quotidiens.