Mais qui donc a encore besoin de CNN ? Franchement ? Aujourd’hui, on l’allume dans sa chambre d’hôtel après un long voyage pour se tenir vaguement au courant. Très vite, l’ennui s’installe devant le cocktail létal : du bavardage, de la politique traitée dans sa façon la plus traditionnelle, du sport. Si on a de la chance, on tombe sur quelques têtes connues comme les journalistes Christiane Amanpour ou Anderson Cooper. Mais, signe des temps, les stars de la chaîne câblée ont largement migré sur YouTube. Elles ont en fait suivi le déplacement des audiences dont l’ampleur laisse peu d’espoir à la télévision dite « linéaire », qu’elle soit hertzienne, câblée ou par satellite. Les chiffres sont éloquents : chaque jour, CNN rallie 409 000 téléspectateurs aux Etats-Unis, le chiffre le plus bas depuis dix ans. L’audience des 25-54 ans, le segment le plus convoité par la publicité, est tombée à 81 000 personnes par 24 heures. Fox News, avec ses traitements outranciers, a de meilleurs scores mais qui restent minces : 1,4 million de téléspectateurs sur 24 heures, dont 170 000 âgés de 25-54 ans. Une misère.
Où sont donc les audiences ? Sur les réseaux sociaux évidemment, mais aussi sur YouTube qui est devenu un poids lourd de l’information avec 122 millions d’Américains qui y sont présents quotidiennement – et 1 milliard dans le monde. CNN y compte 16 millions d’abonnés, Fox News 10 millions, et jouissent d’une structure démographique bien plus attractive puisque 37 % des milléniaux (18-34 ans) avouent « binger » YouTube quotidiennement.
YouTube, désormais un poids lourd de l’info
YouTube est donc devenu un réflexe d’information globalisée. Pour suivre un événement en direct, l’utilisateur a souvent le choix entre les sources, nationales ou locales. Pour qui sait choisir, des myriades de chaînes spécialisées, souvent produites par des médias réputés comme le New York Times, Bloomberg ou The Economist, offrent gratuitement des contenus de qualité. Et le service vidéo de Google pourrait faire bien mieux s’il améliorait son médiocre algorithme de recommandation.
Pour CNN, cette concurrence est dévastatrice, car le réseau est débordé sur toute sa gamme de produits historiques. A cet effondrement structurel, la chaîne a superposé une crise plutôt people, avec le limogeage de son président, après seulement treize mois. Chris Licht a multiplié les erreurs ; il a par exemple laissé un journaliste du mensuel The Atlantic le suivre au quotidien plusieurs mois durant. Le récit, parfois comique, chroniquait une descente aux enfers marquée par une catastrophique tentative de donner des gages à Donald Trump qui avait ostracisé CNN. Le portrait de The Atlantic a sans nul doute accéléré la chute de Licht. Pour ne rien arranger, il a hérité de mauvais choix stratégiques comme, juste avant son arrivée, l’abandon de CNN +, une chaîne d’information haut de gamme, payante, exclusivement sur le Web avec des stars des médias et qui n’a duré que trois semaines : une erreur à 200 millions de dollars.
La mine d’or du sport
L’importance prise par YouTube préfigure d’ailleurs le rôle futur des Gafam dans la captation des audiences autrefois massives de la télévision. Les géants de la technologie sont aidés par leurs capacités d’investissement dans la production et dans l’achat des droits télévisuels : Amazon Prime Video a ainsi mis des milliards sur la table pour acheter divers droits de diffusion dans le football, le tennis, le basket, le golf ou le football américain. Une offre tellement abondante qu’Amazon envisage de développer une application dédiée au sport.
De son côté, Netflix joue une partition différente avec ses séries documentaires devenues des succès planétaires. L’une des plus connues est celle sur la Formule 1, Drive to Survive, dont les cinq saisons sont créditées d’avoir enrayé l’essoufflement d’audience de ce sport. La recette, faite d’une mise en scène et d’une scénarisation au cordeau, est aujourd’hui déclinée sur le cyclisme, le tennis et le golf, autant de puissants vecteurs d’abonnements pour Netflix.