TIDJANE THIAM À PROPOS DU FRANC CFA : « C’EST UN VESTIGE INFANTILISANT DU PASSÉ »

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L’ancien ministre ivoirien et candidat à l’élection présidentielle relance le débat sur l’avenir du franc CFA. Dans un livre de mémoires publié quelques semaines avant le scrutin, Tidjane Thiam qualifie la monnaie commune de 14 pays africains de « vestige infantilisant du passé ».

Dans son ouvrage Sans préjugés : Mémoires (William Collins, 224 pages), l’ex-patron du groupe Crédit Suisse souligne que le franc CFA, indexé sur l’euro, offre « de nombreux avantages économiques, principalement la stabilité ». Mais, ajoute-t-il, cette monnaie rappelle surtout « la dépendance de l’Afrique » vis-à-vis de son ancien colonisateur.

« Le despote le plus puissant ne peut ignorer »

Créé en 1945 sous le nom de « franc des Colonies Françaises d’Afrique », puis rebaptisé « franc de la Communauté Financière Africaine » (UEMOA) et « franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale » (CEMAC), le franc CFA est arrimé à l’euro depuis 1999, avec une convertibilité garantie par le Trésor français.

Le dispositif suscite régulièrement des critiques. Ses détracteurs dénoncent un ancrage qui limite la compétitivité-prix des économies africaines, favorise les importations et contraint les banques à une politique prudente, peu favorable au financement des entreprises. La stabilité monétaire est privilégiée, parfois au détriment de la croissance et de l’intégration régionale.

Ses partisans, en revanche, mettent en avant la stabilité de la monnaie et citent les difficultés économiques rencontrées par des pays africains disposant de leur propre devise.

« Les pays qui ont leur propre monnaie sont soumis aux fluctuations déstabilisantes du marché des changes », répond Tidjane Thiam dans son livre. « Mais cela contribue également à renforcer le sens des responsabilités : si vous annoncez une mauvaise politique économique, votre monnaie s’effondre et vos réserves de change s’épuisent. Ce sont là des signaux que même le despote le plus puissant ne peut ignorer. »

La publication de son ouvrage intervient à un moment où plusieurs États de la zone UEMOA et de la CEMAC s’interrogent sur l’avenir de cette monnaie et sur les modalités d’une réforme attendue depuis plusieurs années. Dans ce contexte, certains pays, notamment ceux de l’Alliance des États du Sahel (AES), engagés dans une confrontation ouverte avec la France, accusent Paris de vouloir maintenir son influence à travers le franc CFA.

« Une pression énorme » de la France

Dans son livre, Tidjane Thiam revient aussi sur son expérience gouvernementale dans les années 1990, lorsqu’il dirigeait le Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD) sous la présidence d’Henri Konan Bédié. Il raconte avoir résisté à de fortes pressions françaises pour attribuer un marché à une entreprise hexagonale.

« Une pression énorme a été exercée sur le gouvernement ivoirien », affirme-t-il, allant jusqu’à mentionner un appel direct du président Jacques Chirac à Henri Konan Bédié. « J’ai dû menacer de démissionner lorsqu’il est apparu que mes supérieurs pourraient céder », écrit-il, y voyant une illustration « de l’attitude et de la politique postcoloniale de la France à l’égard de ses anciens territoires ».

Selon lui, Paris « s’attendait à un traitement préférentiel, même lorsque cela allait à l’encontre de nos intérêts ». À l’époque, confie-t-il, certains l’avaient même dissuadé de se rendre en France « pour des raisons de sécurité ».

Tidjane Thiam estime que ce double discours reste une constante dans les relations entre l’Afrique et ses partenaires occidentaux. « En apparence, ils veulent tous une bonne gouvernance, la transparence et des gouvernements sans corruption », écrit-il. « Mais ils déplorent le gaspillage et le clientélisme seulement lorsque leurs intérêts ne sont pas en jeu. »

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