RENCONTRE OUATTARA-MACRON : “MACRON A DÛ LUI DIRE, PAS DE 4E MANDAT”

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La rencontre à huis clos entre Alassane Ouattara et Emmanuel Macron, le 16 juillet à Paris, suscite des interprétations divergentes en Côte d’Ivoire, notamment sur une éventuelle consigne contre un 4ᵉ mandat.

Paris, 16 juillet 2025. Dans les salons feutrés de l’Élysée, loin des caméras, le président ivoirien Alassane Ouattara et son homologue français Emmanuel Macron ont partagé un déjeuner. Aucune image, aucun communiqué officiel, aucun mot à la presse.

Rien n’a filtré de cette rencontre entre les deux présidents, qui intervient pourtant à moins de trois mois de la prochaine présidentielle ivoirienne. Un mutisme, dans un contexte politique aussi chargé, qui alimente toutes les interprétations.

« Casser les ailes de l’opposition »

Parmi les premières réactions, celle de Dr Boga Sacko Gervais, juriste et défenseur des droits de l’homme en exil, qui revient sur le rôle de Paris lors de la présidentielle de 2020, et en tire des conclusions très claires sur le rendez-vous de cette semaine.

« M. Macron est mal placé pour encourager quelqu’un à forcer pour faire un quatrième mandat. […] De bonne foi, je pense que le président Macron a dû lui demander de ne pas oser faire un quatrième mandat », estime l’ex-patron de la Fondation Internationale pour l’Observation et la Surveillance des Droits de l’Homme et de la Vie Pacifique (FIDHOP).

En 2011, Paris avait soutenu Alassane Ouattara dans sa conquête du pouvoir. En 2020, sa candidature pour un troisième mandat — que l’opposition avait alors qualifiée d’inconstitutionnelle — avait été tolérée, dans un silence diplomatique interprété comme un feu vert tacite.

Pour Dr Boga Sacko, le tête-à-tête du 16 juillet marque un tournant dans les rapports entre Paris et Abidjan. Il rappelle que c’est la phrase “cas de force majeure” prononcée en 2020 par Emmanuel Macron – pour justifier la candidature controversée d’Alassane Ouattara après la mort d’Amadou Gon Coulibaly – qui avait, selon lui, « cassé les ailes de l’opposition ».

« Si les initiatives de désobéissance civile, le Conseil national de transition (CNT) ou les efforts de Bédié n’ont pas prospéré, c’est en grande partie à cause de cette prise de position de la France », accuse-t-il.

Mais pour l’opposant, le contexte régional a changé, et la France ne peut plus se permettre une nouvelle erreur stratégique. « L’AES est née entre-temps. Macron sait que si la Côte d’Ivoire bascule, le cercle des alliés de la Russie s’agrandira. Il ne peut pas soutenir un quatrième mandat, ce serait suicidaire », analyse-t-il.

Son propos fait écho aux tensions croissantes entre Paris et plusieurs régimes africains, notamment au Mali, au Burkina Faso ou au Niger, qui ont tourné le dos à la France. Pour Boga Sacko, un soutien explicite de Paris à une nouvelle candidature de Ouattara pourrait provoquer une rupture similaire.

« La colonisation, c’est terminé »

Dr Boga voit même plus loin. Il pense que Macron a aussi plaidé pour l’ouverture du jeu électoral. L’éviction de plusieurs figures majeures du paysage politique ivoirien – Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Charles Blé Goudé et Guillaume Soro – tous radiés de la liste électorale, suscite en effet de vives critiques.

« Je pense que M. Macron a dû lui faire une recommandation pour que l’élection soit exclusive, et je pense que M. Ouattara ne peut s’y dérober », assure-t-il.

Mais cette lecture est fermement rejetée par certains intellectuels proches du pouvoir. Invité sur la chaîne NCI ce dimanche, l’historien Arthur Banga a tenu à mettre les points sur les « i ».

« La colonisation, c’est terminé, estime l’enseignant. Macron ne peut rien imposer au président Ouattara. On n’est plus dans les années 70 où la France faisait et défaisait les régimes. »

« Aujourd’hui, le monde a changé, ajoute-t-il. Si la France se fâche, ce n’est plus la fin. Le Mali n’est plus avec eux, mais la Chine est là, la Russie est là. »

Pour Arthur Banga, les critiques viennent de ceux qui espéraient un soutien français à leurs leaders. « Ils sont déçus parce qu’ils ont compris que la France ne choisit plus les présidents africains. »

Reste que le silence des deux capitales alimente les doutes. À 83 ans, Alassane Ouattara ne s’est toujours pas prononcé sur sa candidature. S’il se présentait, ce serait pour un quatrième mandat. Une perspective qui continue de diviser l’opinion.

Samuel KADIO

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