Voila ce que c’est, mon vieux Laurent, que d’avoir pris, la plus jolie, des filles Mahouka, celle qu’on appelle Nady. Tu aurais pu, mon vieux Laurent, prendre Léocadie, ou Anastasie de Guibéroua, mais tu as préféré Nady.
Tu aurais pu, mon vieux Laurent, rester chez toi, tailler ton bois, écrire tes histoires et planter tes tomates, plutôt que de menacer et d’appeler encore une fois les gens à manifester.
Tu aurais pu mon vieux Laurent, faire d’autres petits à Nady, et leur apprendre ton métier d’historien, comme l’université te l’avait appris.
Pourquoi a-t-il fallu Laurent, que ta chérie, cette innocente, ait eu ces étranges idées de te faire croire que tu peux encore devenir président de la Côte d’Ivoire ? Toi-même tu crois vraiment à ça ?
Mon cher Laurent, je pense à toi tous les jours, toi qui, j’en suis sûr, ne demande qu’à vivre heureux à Mama avec ta Nady chérie.
Vois-tu, mon cher Laurent, je crois que tu es mal entouré. Ce sont les gens comme les Katinan, Assoa Adou et autres Dano Djédjé qui te poussent à faire tout ce que tu fais. Sinon je sais que toi, tout ton rêve, c’est d’aller t’asseoir à Mama, écrire des livres et jouer au vieux sage qui rassemblerait autour de lui tous les déçus de Ouattara, distribuerait les bons et mauvais points, donnerait des conseils à qui en voudrait.
Au lieu de cela, tu en es à menacer le pouvoir, à vouloir bagarrer, à faire la guerre à tes proches, à bêcher publiquement la vieille mère Simone, à ignorer Blé l’ancienne machette, ton bon petit, jusqu’à avoir mal à la bouche à dire son nom, et Affi, parce qu’il avait voulu partager le pouvoir du FPI déchu avec toi. Tu dis que c’est Nady qui tient absolument à devenir aussi première dame parce que Simone le fut ? Mais vois-toi-même, mon pauvre Laurent, où cela t-a-t-il conduit ?
Tu as l’habitude de dire qu’on peut sortir de prison pour aller à la présidence et tes détracteurs te répondent qu’on peut aussi quitter la présidence pour aller en prison. Ce qui t’est arrivé dans les deux sens. Mais bon, tu ne vas quand même pas passer le reste de ta vie à faire des allers et retours entre la prison et la présidence. Visiblement, tu aimes la posture du martyr. De l’éternel persécuté, de celui qui lutte en permanence. Nous, non. Nous voulons lutter, oui, mais pour faire avancer notre pays. Et nous avec. Et puis, bon. Tu te vois vraiment encore à la présidence ?
Il est vrai que dans ce pays, c’est souvent l’impossible qui se réalise. Sinon, qui pouvait imaginer Robert Guéï et toi un jour dans le fauteuil d’Houphouët-Boigny ? Qui pouvait imaginer Guillaume Soro ton premier ministre ? Et le même Guillaume Soro ennemi mortel d’Alassane Ouattara aujourd’hui ?
Pourquoi n’expliques-tu pas à ta bien aimée que Mandela est devenu plus puissant et plus respecté lorsqu’il a renoncé au pouvoir ? Tu me diras que tu n’es pas Mandela. Cela, on l’avait compris. Mais tu pourrais essayer de le copier. Tu aurais pu te dire par exemple : « j’ai exercé le pouvoir pendant dix ans. Je l’ai perdu. J’ai passé presque dix ans en prison et en exil en Europe.
Je suis rentré, blanchi par la justice internationale. Mais la justice de mon pays me cherche des poux dans les cheveux. Pourquoi, vu que mes droits financiers me sont versés, je ne créerais pas une fondation ou quelque chose comme ça, qui œuvrerait par exemple pour la réconciliation ou pour le pardon ? Moi, j’en ai fini avec la politique, et je pardonne à tout le monde. Surtout à mes adversaires. Je choisis telle personne comme mon héritier politique. »
Je suis sûr que si tu avais fait quelque chose de ce genre, tu serais devenu un héros dans toute l’Afrique et même dans le monde. Tu me demandes pourquoi je ne donne pas ce genre de conseil à Alassane Ouattara ? C’est parce que vous n’avez pas le même destin, mon pauvre Laurent. On t’a donné ce pays et nous avons vu ce que tu en as fait en dix ans. Le sang n’a fait que couler. Tu n’as rien construit à part de vilaines statues. On t’aurait pardonné si tu avais fait ce que je te conseille de faire. Mais si tu t’entêtes, je ne peux plus rien te garantir.
On a donné le même pays à Alassane Ouattara et il l’a projeté au rang de première puissance économique de l’UEMOA et de seconde puissance économique au sein de la CEDEAO. Depuis quinze ans notre pays est en paix malgré les menaces djihadistes à ses frontières nord. Ouattara, lui, on a envie qu’il continue de faire ce qu’il est en train de faire. Même si lui-même n’en a plus envie. On lui demande de ne pas arrêter de travailler. Toi, on veut que tu te reposes. Et c’est parce qu’on t’aime bien, crois-moi.
Venance Konan