Liste noire, doutes blancs: Quand les partenaires dénoncent les zones grises du pouvoir en Côte-d’Ivoire

0
2
Francesca Di Mauro, ambassadrice de l’UE en Côte-d’Ivoire
Francesca Di Mauro, ambassadrice de l’UE en Côte-d’Ivoire


Ce sont de mauvaises nouvelles qui ne pouvaient tomber à plus mauvais moment. À quelques encablures de l’échéance présidentielle, alors que le RHDP a fait feu de tout bois pour reconduire triomphalement son champion au sommet de l’État, la scène internationale envoie des signaux de plus en plus préoccupants. Le vernis du « bilan inattaquable » d’Alassane Ouattara craque, sous les coups de boutoirs conjoints des institutions occidentales.

Photo: Francesca Di Mauro, ambassadrice de l’UE en Côte-d’Ivoire avec la ministre Nasseneba Touré
Photo: Francesca Di Mauro, ambassadrice de l’UE en Côte-d’Ivoire avec la ministre Nasseneba Touré

La Commission européenne a tiré la première salve. Le 10 juin 2025, elle a ajouté la Côte d’Ivoire à sa liste noire des pays à haut risque en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Dans l’euphorie nationale construite autour du mythe du « capitaine-buteur-entraîneur », cette décision sonne comme un rappel brutal à la réalité. L’image d’un pays modèle de la sous-région est désormais sérieusement écornée.

Mais ce n’était qu’un avant-goût. Trois semaines plus tôt, le FBI américain avait déjà investi discrètement Abidjan. Objectif : enquêter sur les flux financiers opaques liés au Hezbollah libanais, via des réseaux actifs libano-syriens installés depuis des années sur le sol ivoirien. Le chiffre avancé officieusement évoque plusieurs millions d’euros de transferts douteux, en lien avec des circuits criminels transnationaux. Le tout avec un soupçon de complaisance de la part des autorités ivoiriennes.

Un lourd passif qui refait surface

Pour les observateurs aguerris, ces faits ne sont pas une surprise. Depuis plus d’une décennie, la Côte d’Ivoire traîne une réputation sulfureuse. En 2020, les accusations du journal The Africa Report contre Hamed Bakayoko, alors Premier ministre par intérim, avaient déjà déclenché un séisme. Il était alors présenté comme une figure centrale du narco-pouvoir en Afrique de l’Ouest, en lien avec les cartels d’Amérique centrale. Depuis, aucune réforme structurelle sérieuse n’est venue apaiser les craintes.

En octobre 2024, nouveau revers : le Groupe d’action financière (GAFi), organisme intergouvernemental, inscrit le pays sur sa liste grise pour ses lacunes dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Une alerte claire, mais minimisée par les communicants du régime.

Aujourd’hui, ces avertissements se transforment en condamnation ouverte. La diplomatie ivoirienne peine à contenir l’incendie, et les grandes capitales qui comptent – Bruxelles, Washington, Berlin – semblent désormais désillusionnées par le discours de performance économique et de bonne gouvernance.

Un modèle fissuré de l’intérieur

La mise en récit du président Ouattara comme figure de la stabilité, du développement et de la modernité ne résiste plus à l’épreuve des faits. Car derrière les projets d’infrastructures, les chiffres de croissance, et les autosatisfactions répétées, le système Ouattara montre de profondes fragilités. L’impunité de certains réseaux, le clientélisme politique, les jeux d’alliances mafieuses dans le portuaire et le secteur bancaire créent un écosystème propice à la dérive.

Ces derniers développements jettent une lumière crue sur la perte de crédibilité internationale du régime. Ils constituent un désaveu indirect, mais puissant, de la reconduction politique d’un président usé, dans un contexte de restriction démocratique, de verrouillage institutionnel et de défiance citoyenne.

Le RHDP peut-il encore se permettre l’arrogance ?

Les signaux envoyés par l’Europe et les États-Unis ne doivent pas être interprétés comme de simples incidents diplomatiques. Ils traduisent un malaise profond quant à la trajectoire prise par la Côte d’Ivoire. Et ils questionnent la viabilité d’un régime qui se rêve en modèle, tout en multipliant les entorses aux standards internationaux de transparence, d’indépendance judiciaire et de lutte contre la criminalité financière.

Le plébiscite, en interne, coïncide avec un revers géopolitique majeur sur la scène internationale. Et si, demain, ces mises en garde se transforment en sanctions économiques ou en restrictions diplomatiques, qui paiera le prix de cette obstination ?

L’heure n’est plus au triomphalisme. Elle est à l’introspection. Et il est peut-être déjà trop tard.

Avec F. M. Bally

Leave a reply

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici