El Hadj Souleymane Gassama, dit Elgas, est journaliste, écrivain, docteur en sociologie, et chercheur associé à l’IRIS. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Les bons ressentiments. Essai sur le malaise post colonial aux éditions Riveneuve.

El Hadj Souleymane Gassama, dit Elgas

Vous écrivez que les héros africains sont plus jugés à leur capacité à tenir tête à l’Occident qu’à construire une alternative en s’adressant aux Africains…

Il faut invoquer l’histoire longue pour comprendre dans quelle mesure ce réflexe convenu est entretenu à dessein à partir d’une légitimité incontestable. Tous les héros africains tués par la mécanique coloniale, toutes les figures de la résistance qui se sont élevés contre l’injustice et incarnent ainsi un imaginaire courageux, ont laissé un fort héritage, modèle s’il en est pour la jeunesse, entre autres. Qu’il s’agisse de Lumumba ou Sankara, se dresser contre l’Occident était l’essence d’un combat qui n’était nullement dans une posture. Ce qui s’est produit, c’est qu’au fur et à mesure, cela est devenu une bouée facile de pouvoirs faillis et de dirigeants sans scrupule qui pillent cet héritage glorieux. Les acteurs politiques ne sont plus comptables de la transformation de leur pays, mais négocient leur sursis par cette opposition factice avec l’Occident, avec lequel souvent ils sous-traitent en coulisse. Le déplacement de la logique populaire du siège de l’action positivement collective au ministère du discours performatif destiné à manipuler les affects et s’attribuer les retombées des gloires passées est le glissement majeur. Il annonce cette défausse épidémique dans le continent de dirigeants qui abdiquent les chantiers nationaux pour s’en prendre à un ennemi commode et fédérateur, ne faisant ainsi que différer les explosions de colères dues essentiellement à des défaillances de l’appareil d’État à régler les problèmes.

Senghor, reconnu en France, serait peut-être pour cela déconsidéré en Afrique ?

La causalité est un peu hâtive je dirais. Senghor a été reconnu pas qu’en France il n’a été rien de moins que le président sénégalais, dont l’héritage vit encore avec vigueur au Sénégal à bien des égards. Ce qui se passe avec les transformations postcoloniales actuelles, c’est une forme d’ascendant que prennent ses rivaux intellectuels en matière d’influence sur les jeunesses africaines. Si Senghor a une actualité riche en France (biographies, expositions, colloques…), il est évident qu’au Sénégal c’est plus confidentiel, même si nombre de chercheurs locaux sont au cœur de cet intérêt. Il n’a pas une immense aura et est particulièrement contesté. Cette impopularité en partie est tributaire en effet d’un lien avec la France qu’il trainera aux yeux de beaucoup comme une tare incurable. Mais les offres de lectures de son œuvre récemment publiées permettent d’aller au-delà des manichéismes pour rendre justice à un parcours avec ses forces et faiblesses.

Vous reprochez à certains intellectuels africains de refuser de penser contre soi, le préalable de l’introspection au profit de ce que vous qualifie de « fureur accusatrice »

Je rappelle, à l’aide d’exemples récents et historiques, comment la pluralité des idées, des opinions, la richesse de la controverse intellectuelle, ont été victime d’une forme de censure au cœur identitaire. Il fallait pour vivre les joies de la quiétude et être bien perçu par la « communauté » produire sous une certaine dictée d’une optique unique. S’émanciper des canons arbitrairement établis du « Nous » équivalait à vivre au ban, considéré comme un traitre. Il ne fallait pas trahir un front contre l’Occident, au prix de renoncements à des lessives internes, d’accointances avec des logiques conservatrices, de tolérances de discours intérieurs violents et traditionalistes, au seul motif d’un particularisme et d’une chronologie qui le légitimaient. Cet impensé persistant a dévoyé une part de l’énergie dans ce face à face réactif avec la tentation de la diaspora de tomber dans une idéalisation fantasmée d’un continent où la disqualification est devenue une épuration intellectuelle admise. Réinstituer ce goût du dialogue, l’introspection, l’autoscopie, la capacité à être intransigeant avec nous-mêmes et les autres est un principe essentiel pour ne pas nourrir cette nécrose des idées et faire du statut de victime une condition éternelle.

Certains satrapes africains embrassent un tournant de colonial, parfois islamistes pour se refaire une virginité…

Oui, c’est la recette facile du rachat de virginité à peu de frais. Idriss Déby, Denis Sassou Nguesso, Laurent Gbagbo pour ne citer qu’eux, ont tous, d’une certaine manière, flirté avec ce discours pour se voir décerner leurs galons de panafricaniste. Ils braconnent ainsi sur des terres intellectuelles longuement ensemencées de cette idée décoloniale devenue à bien des égards, loin de la rigueur de la pensée du même nom, un argument de prolongation de mandat sur la base d’un chantage affectif et historique. On se retrouve dans une alliance objective et contre nature entre discours religieux sur l’Occident décadent sur lesquels prospèrent les récits et lexiques djihadistes, mais aussi la tentation des hommes au pouvoir de s’affranchir des règles constitutionnelles subitement affiliées à la colonisation. C’est un bal hélas tragique de défausse qui fait du tort à des initiatives de recherches d’alternatives sérieuses. C’est le temps dans lequel semble entrer pleinement le continent. Le fruit d’une longue démission et d’un maniement d’un discours identitaire avec l’entrée en scène d’acteurs et d’héritiers plus radicaux dans une séquence mondiale marquée par le ressentiment et sa propension au nihilisme.

IRIS

Les Bons ressentiments, Essai sur le malaise post-colonial

Elgas

Léopold Sédar Senghor, Yambo Ouologuem ou Mohamed Mbougar Sarr, le prix Goncourt 2021, sont-ils des aliénés ? Méritent-ils cet opprobre originel jeté sur certains intellectuels africains conduisant à leur disqualification ? Dans le contexte actuel de promotion des pensées décoloniale et postcoloniale, entre querelles fratricides et surenchère identitaire, un long malaise persiste dans les relations entre les écrivains et artistes africains et l’ancienne puissance coloniale, notamment française. À rebours des thèses les plus établies, l’auteur balaye plus d’un demi-siècle d’histoire des idées et de textes fondateurs en Afrique, pointant les excommunications, dénonçant la confiscation de tout débat pluriel et le dévoiement du processus de décolonisation. Il souligne la nature profonde de la blessure : la présence au coeur même de la prétention décoloniale actuelle du système colonial, et une relégation perpétuelle à la réaction plaintive. Un essai roboratif pour assumer l’histoire commune, sans absolution ni obsession, et pour se défaire du poids mortifère du ressassement.

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