Après la mort de Nahel M., 17 ans, tué mardi à Nanterre lors d’un contrôle de police, nous avons demandé à Kaoutar Harchi, sociologue et autrice en 2021 d’un très fort récit qui évoquait les violences policières, de nous livrer son sentiment. Elle nous a envoyé ce texte.

Kaoutar Harchi, écrivaine et sociologue française. Photo Louise Desnos / Agence VU

Dans Comme nous existons (2021), récit autobiographique d’une grande puissance littéraire, Kaoutar Harchi passait de l’intime au politique, pour dire son refus de l’assignation identitaire et sa révolte face à « l’injustice de race et de classe ». Un chapitre du livre était consacré à la mort du jeune Ahmed, frappé par la police lors d’un contrôle arbitraire, au bas de son immeuble : « La violence s’est alors mêlée à notre vie, dans l’indécence, dans l’impudeur. Nous fûmes dépouillés de nous-mêmes. La violence nous contraignit à nous regarder et à regarder autrement. Parfois, nous ne voyions plus rien, sauf la violence elle-même », écrivait-elle alors. L’écho avec le meurtre de Nahel, 17 ans, abattu par un policier à Nanterre mardi 27 juin est saisissant. C’est que tous les hommes racisés vivent avec ce « risque permanent de la peine de mort », selon Kaoutar Harchi, qui nous a envoyé ce texte après sollicitation de notre part.

Il faut l’écrire, le dire et le répéter : être perçu comme un jeune homme noir ou arabe entraîne un risque vingt fois plus élevé de subir un contrôle de police. Par ailleurs, depuis 2017, le nombre de personnes tuées suite à un refus d’obtempérer a été multiplié par cinq. En une année, ce sont treize personnes qui ont été tuées. A cette liste, s’ajoute désormais le nom de Nahel. Une liste qui elle-même s’ajoute à la liste séculaire des victimes de crimes policiers.

Pourtant, l’écrire, le dire, le répéter n’a que peu d’effets car, à peine survenu, le meurtre de Nahel a été, sur les plateaux télévisés de la guerre civile, justifié. J’entends : un sens a été donné à sa mort : il n’était que. Qu’un jeune, qu’un impoli, qu’un fuyard, qu’un délinquant, qu’un récidiviste, qu’une racaille. Pareille décriminalisation du crime commis contre Nahel révèle la violence par laquelle, en France, les hommes racisés des fractions populaires sont chassés de la communauté humaine – soit la communauté morale. Animalisés. Et rendus tuables.

La police est l’organe de cette tuerie, cette grande chasse. Le contrôle d’identité est la traque. Les hommes racisés vont et viennent dans l’espace enclavé. Et, d’un coup, c’est l’arrestation, la capture. Le feu est ouvert.

Avant que Nahel ne soit tué, il était donc tuable. Car il pesait sur lui l’histoire française de la dépréciation des existences masculines arabes. Il pesait sur Nahel le racisme. Il y était exposé. Il courait ce risque d’en être victime. La domination raciale tient tout entière en ce risque qui existe.

Alors que faire lorsque le risque se précise ? Que faire lorsque le risque a un visage, une voix, une arme ? Que faire lorsque le risque s’intensifie au point de devenir une menace ? Que faire lorsque ça hurle « shoote-le » ? Lorsque ça hurle « je vais te mettre une balle dans la tête » ? Ce qu’a fait Nahel, il a fui. Fui ce risque qui était la police. Nahel a voulu garder cette vie que la police allait lui prendre. Et cela est intolérable, n’est-ce pas. Qu’un homme racisé tienne à la vie, défende sa vie, lutte pour elle, n’est pas toléré.

Alors, vouloir sauver sa vie a coûté la vie à Nahel.

Vivre une vie d’homme arabe, d’homme noir, dans une France structurellement racialisée, c’est vivre à bout portant de la mort. La mort a été la peine de Nahel. Et maintenant Nahel est notre peine.

1 COMMENTAIRE

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