Ce qui se joue aujourd’hui autour de Laurent Gbagbo dépasse de loin les apparences d’un simple désaccord ou d’une prise d’otage politique. Il ne s’agit pas d’un incident isolé dans la vie d’un homme public, mais d’une mise à mort symbolique, une marginalisation méthodique, presque clinique. Lorsqu’un homme est successivement privé de ses fidèles compagnons, de ses soutiens historiques, et jusqu’à ses propres enfants, ce n’est plus une éviction. C’est une dépossession de soi.

Dans cette tragédie moderne qui se déroule sous nos yeux, le silence obstiné de Laurent Gbagbo interroge autant qu’il inquiète. Ce silence est-il une forme de soumission contrainte, ou la marque d’un isolement progressif orchestré avec froideur ? L’homme qui fit trembler la Françafrique semble aujourd’hui cerné, non par ses ennemis d’hier, mais par ceux qui, hier encore, se revendiquaient de son combat.
L’argent, nerf du pouvoir… et du silence
Le véritable nœud de cette affaire se situe ailleurs : dans les coulisses financières de son retour au pays, après dix années d’absence. À sa libération en 2021, Laurent Gbagbo a bénéficié d’un traitement digne d’un ancien chef d’État : fonds spéciaux, sécurité rapprochée, dotation logistique, soins médicaux. Son épouse, Nady Bamba, a joué un rôle central dans cette réinstallation. Ambulance privée, médecin personnel, véhicules de fonction, bureaux équipés – tout a été mis en place avec une rigueur irréprochable. Mais derrière cette efficacité apparente se cache une gestion verrouillée, opaque, presque notariale de ce qui s’apparente à un patrimoine politique et financier.
Car les milliards octroyés par l’État à l’ancien président sont aujourd’hui sous contrôle exclusif de son épouse. Il s’agirait là non seulement de protéger la santé de l’homme, mais de préserver l’héritage – pour elle, pour leur fils, et pour une ligne familiale discrète mais vigilante. L’entourage historique, les compagnons de lutte, eux, ont été méthodiquement écartés. De Blé Goudé à Simone Gbagbo, en passant désormais par Ahoua Don Mello, c’est tout un pan de l’histoire du FPI, puis du PPA-CI, qui est mis au rebut.
Une crise de succession déguisée
L’éviction brutale d’Ahoua Don Mello, après l’annonce de sa candidature à la présidentielle, n’est pas un incident isolé : c’est un signal. Une ligne rouge. Celle qu’aucun dauphin ne doit franchir sans aval. Le trône n’est pas vacant ; il est verrouillé. Et ceux qui y prétendent sont automatiquement frappés d’excommunication.
Plusieurs observateurs soulignent que cette crise dépasse les querelles internes au PPA-CI. Elle illustre une guerre froide, silencieuse, autour de l’héritage politique et matériel d’un homme que l’histoire a élevé, mais que le présent semble vouloir museler.

Une solitude choisie ou imposée ?
Le paradoxe est cruel : Laurent Gbagbo est aujourd’hui plus entouré que jamais – d’agents de sécurité, de conseillers officiels, d’un protocole rigide. Mais il semble plus seul que jamais. L’homme public s’efface derrière l’icône verrouillée. Le tribun s’effondre sous le poids des précautions, des précautions… et des exclusions.
La photo d’archives, le montrant aux obsèques du président Houphouët-Boigny aux côtés d’Ahoua Don Mello, résonne aujourd’hui avec une amertume particulière. Le jeune technocrate panafricaniste de l’époque et le leader historique de l’opposition semblent aujourd’hui engagés dans deux destinées divergentes, voire opposées.
Conclusion
Ce n’est donc pas seulement une affaire de clan ou de pouvoir. C’est une question de mémoire, de légitimité, d’héritage. Et surtout, de solitude. La mise à l’écart d’Ahoua Don Mello n’est peut-être que le dernier épisode d’un processus entamé depuis longtemps : celui de la fossilisation d’un mythe, transformé en monument vivant…et soigneusement gardé.
Avec KD
AGD Alexis Gbanse Douade