Sous pression de l’Union africaine, l’ex-président gabonais, son épouse Sylvia et leur fils Noureddin ont quitté Libreville pour Luanda. Une évacuation diplomatique discrète, encore entourée de zones d’ombre.
Ce vendredi 16 mai 2025, la présidence angolaise a annoncé l’arrivée à Luanda de l’ancien président du Gabon, Ali Bongo, renversé en août 2023, et de sa famille. Si l’ancien chef d’État est libre, l’ex-première dame et son fils font toujours l’objet d’une procédure judiciaire à Libreville.

Jeudi 15 mai, à 23 h 30, heure locale, Ali Bongo, son épouse Sylvia et leur fils Noureddin ont atterri à Luanda, libres, enfin presque. La famille présidentielle, destituée lors du putsch orchestré par l’actuel président gabonais Brice Oligui Nguema, a été accueillie à sa sortie de l’avion par des représentants de la république de l’Angola.
Si l’ancien président du Gabon était libre de ses mouvements depuis plusieurs mois, d’après les autorités gabonaises, l’ex-première dame et l’ancien directeur de cabinet, emprisonnés depuis le coup d’État du 30 août 2023 pour haute trahison et détournements d’argent publics, étaient sortis de prison le 1er mai, affirme une source proche du dossier. « Après avoir été auscultés durant plusieurs jours à l’hôpital militaire de Libreville », ils ont été conduits, « sous surveillance militaire », à leur résidence du quartier huppé de la Sablière, au nord de la capitale, où vivait reclus Ali Bongo depuis sa destitution.
C’est dans un avion aux couleurs de l’Angola, jaune, rouge et noir, que l’ex-famille présidentielle a quitté le sol gabonais dans la nuit, jeudi 15 mai. Au petit matin, ce vendredi 16 mai, cet exil discret n’a été confirmé que par la présidence angolaise qui s’est fendue d’un post sur Facebook quelques minutes après l’atterrissage. Sur des photos apparaissent Ali Bongo et son épouse, saluant le commandant de bord qui les a menés jusqu’à Luanda.
Retour sur deux semaines de tractations diplomatiques
Tandis que le dossier de l’incarcération des Bongos s’enlisait, tout s’est accéléré en l’espace de quinze jours. Mercredi 30 avril, deux semaines après l’élection de Brice Oligui Nguema, l’Union africaine a levé les sanctions qui pesaient sur le Gabon depuis deux ans. Le pays a été réintégré à l’institution, néanmoins cette dernière a, en même temps, adopté une résolution exigeant la libération de la famille Bongo. Elle préconisait notamment « la libération immédiate et la garantie des droits humains, de l’intégrité personnelle, de la sécurité et de la santé de l’ancien président Ali Bongo Ondimba, des membres de sa famille et des membres de son ancien gouvernement ».
D’après une source politique, « cette résolution a fortement pesé sur la décision de libérer Sylvia et Noureddin de leurs cellules ». Mais la décision aurait été scellée par l’état de santé préoccupant des membres de la famille qui avait commencé une grève de la faim quelques jours après l’élection présidentielle au Gabon, mi-avril. D’après les informations collectées à Libreville, Noureddin, âgé de 33 ans, souffrirait d’un tympan perforé à la suite de tabassage. Sylvia, âgée de 62 ans, aurait perdu régulièrement connaissance ces derniers jours. De retour dans la résidence familiale du quartier huppé de la Sablière, respectivement les 6 et 9 mai, la mère et le fils, désormais aux côtés du père, restaient encore sous surveillance militaire.
La venue à Libreville, lundi 12 mai, de Joao Lourenço, président de l’Angolais investi à la présidence tournante de l’Union africaine (UA) pour l’année 2025, apparaît aujourd’hui comme les préludes de l’exfiltration des Bongo hors des frontières du Gabon. La visite avait déjà une symbolique : le chef d’État angolais, qui avait refusé de recevoir le putschiste vis-à-vis des valeurs de l’UA, renouait officiellement les liens avec son voisin.
Mais les deux chefs d’État s’étaient déjà rencontrés à Rome, en marge des obsèques du pape François, le 25 avril – avant même la réintégration du Gabon dans l’union. Un entretien qui, d’après l’entourage du président, aurait posé « les bases de la libération de la famille Bongo ». Effectivement, étant une des conditions immuables au retour du Gabon dans l’UA, Oligui Nguema a dû montrer qu’il irait dans le sens de l’Union africaine », affirme une source, sans que cela soit corroboré.
Les avocats de la famille confirment, par ailleurs, l’intensification du lobbying de l’UA, après la prestation de serment du général Brice Oligui Nguema, le 3 mai. « Cette libération est le fruit de longs efforts tant sur le plan judiciaire que diplomatique », indique Me François Zimeray qui avait porté le dossier devant les tribunaux français.
Lundi 12 mai, les 24 heures du président angolais dans la capitale gabonaise avaient également été ponctuées par une brève visite à Ali Bongo, en privé.
Pression internationale
Cette libération a indigné une partie de l’opinion publique. « Une véritable honte », a fustigé Geoffroy Foumboula Libeka, député du parlement gabonais lors de la transition, sur Facebook. « Où est la souveraineté du Gabon ? […] On ne peut utiliser l’Union africaine pour faire du chantage à un autre État », a-t-il dénoncé, traduisant un sentiment partagé par bon nombre d’internautes sous le poste de la présidence angolaise.
Les autorités gabonaises ont finalement communiqué par la voix du procureur général Eddy Minang, en fin de matinée, vendredi 16 mai. Elles ont indiqué qu’une « liberté provisoire » leur avait été accordée « en raison de leur état de santé devenu incompatible avec le milieu carcéral, selon leur médecin traitant ». Le procureur a assuré « que cette mesure n’interrompt nullement le cours normal de la procédure qui se poursuivra jusqu’à la tenue d’un procès équitable ».
Sous fonds d’accusation de torture, le pouvoir militaire faisait l’objet de fortes pressions internationales pour la libération des membres de la famille Bongo. À Paris, la justice a ouvert une enquête en janvier 2025, et d’après les informations révélées par la lettre d’Africa Intelligence, confirmée par une source française, de premières auditions ont été menées. Fin mars, sept anciens chefs d’État de pays africains et de nations latino-américaines accompagnés, notamment, de Boris Jonhson (ancien Premier ministre anglais) avaient par ailleurs fait parvenir une lettre au président gabonais pour demander à être reçus dans le but de visiter Sylvia et Noureddin Bongo lors de leur détention. Pour rappel, c’est depuis Londres, que l’épouse du fils Bongo, Léa, remuait ciel et terre pour faire libérer ses proches qu’elle qualifiait d’« otages ».
Sophie Eyegue