Né sur la petite île de Niodior, au Sénégal, en 1972, Felwine Sarr pense avoir forgé là son « imaginaire de voyage et du départ » – quand on habite une île, impossible de faire autrement que de se projeter ailleurs, explique-t-il… Écrivain, poète, musicien, économiste, Sarr enseigne la philosophie africaine aux Etats-Unis, en Caroline du Nord.
Il est aussi connu pour avoir réalisé, en 2018, avec l’historienne Bénédicte Savoy et à la demande du président Macron, un rapport sur la restitution des œuvres du patrimoine culturel africain qui se trouve dans les musées français. Un débat qui évolue favorablement selon lui, avec une « auto-critique » des musées occidentaux.
A Bruxelles – « une ville qui ne se la raconte pas » – il a exposé à Pascal Claude sa pensée décoloniale, plaidant pour une émancipation du continent africain.
Vous dites que les écrivains africains sont peu nombreux à raconter leurs voyages…
Il est temps de les entendre, car nous avons beaucoup été regardés, dessinés, décrits… On a été l’objet de récits de voyages, d’anthropologues, d’ethnologues. L’Afrique a été principalement un objet de discours, et très peu sujet de ses récits. Quand on nous voit en tant que voyageurs, on nous voit en tant que migrants – sauf les rares d’entre nous qu’on estime être capables de s’intégrer. J’en fais partie parce que j’écris des livres. Mais mon cousin dans son village à Niodior, lui ne peut pas, alors que nous avons la même histoire.
Quel message adressez-vous aux jeunes Sénégalais qui veulent partir ?
C’est compliqué de leur dire que ce n’est qu’un mirage. Moi-même je circule dans ces espaces-là… Ils ont le droit de découvrir le monde mais ils n’ont pas les visas : ils le font dans des conditions de vulnérabilité extrême. Ceci dit, le désir d’élargir les horizons est universel.
Dans votre livre Traces. Discours aux nations africaines vous écrivez que la jeunesse africaine doit se concentrer sur le continent et cesser de regarder ailleurs…
Je crois fondamentalement que les jeunes du continent africain doivent concentrer leur ardeur sur leurs pays pour les transformer. Si on déserte le champ de bataille, rien ne changera. Il faudrait pouvoir changer les conditions structurelles de modes de vie sur place pour ne plus avoir à aller chercher une position sociale ailleurs. Après mes études, je suis rentré au Sénégal où j’ai enseigné quinze ans.
Certains jeunes en Afrique, comme ceux qui vivent en Europe, sont marqués par le passé colonial. Et vous vous dites que ce passé n’est qu’une « trace ». C’est-à-dire ?
Il ne faut pas être dans l’amnésie, et en même temps il ne faut pas être bloqué dans un trauma colonial. On doit marcher, élargir les horizons, guérir du trauma, de la peine, et continuer à édifier nos mondes. Sans nier la nécessité de comprendre sa propre histoire, il faut sortir du ressentiment puisque cette histoire-là, nous ne l’avons pas vécue dans sa matérialité.
Quel « progrès » ?
Que pensez-vous de ce qu’on appelle la « cancel culture » ?
Il y a quelque chose de violent dans la manière de déboulonner, d’effacer. Mais l’histoire du continent africain ne peut pas être écrite que par des vainqueurs. Je ne vois pas pourquoi la statue du général Faidherbe, « grand pacificateur de Saint-Louis », qui a pourtant été l’agent de la colonisation, qui a pillé des villages, coupé des têtes, trônerait avec l’inscription « la nation sénégalaise reconnaissante ». Être reconnaissant envers son bourreau ? C’est problématique. Il faut être sérieux. On ne peut pas glorifier celui qui a été l’agent d’une violence extrême contre nous. Ces statues-là doivent disparaître de l’espace public, mais pas de l’Histoire : on la trouve dans les musées, dans les archives, les bibliothèques.
De quelle collaboration parlez-vous quand vous dites : « nous ne devons plus collaborer à notre propre asservissement » ?
Tous les processus de domination fabriquent du consentement. Il y a les asservissements internes : nos dictatures, nos mauvaises gouvernances, nos élites corrompues. Et les externes : les inégalités qui viennent de l’ordre international avec le néocolonialisme, l’impérialisme qui se poursuit… La lutte est sur ces deux fronts, internes et externes.
Comment qualifier la période qui a suivi la colonisation ?
Nous avons subi des injonctions civilisationnelles. On nous disait que nous sommes « sous-développés. » Or une plante se développe ! Une photographie aussi ! Or ériger une forme comme étant la seule valable, c’est d’une pauvreté absolue. Si on intègre au plus profond de sa psyché qu’on est en retard… on en oublie d’être à la hauteur de ses propres singularités. Le progrès est une belle idée. Mais la question est : que met-on dedans ? Il y a des progrès matériels, mais aussi des progrès relationnels. Il faut sortir de la vision extractiviste de l’économie qui est la nôtre et de ce rapport violent aux corps sociaux.
Vous dites que le continent africain est caractérisé par une économie relationnelle… C’est-à-dire ?
L’économie relationnelle produit d’abord de la relation, avant un échange quantitatif. Au Sénégal, par exemple, au marché, le prix n’est pas étiqueté. Vous commencez par marchander. Vous créez une relation, et à partir de ce moment-là l’échange se fait. On crée du capital confiance. C’est une manière de ne pas désenchâsser l’acte économique de l’échange social. Les multinationales commencent à le comprendre – mais de leur côté, c’est juste un outil supplémentaire pour faire du profit.
Quel chemin doit encore parcourir l’Afrique sur le plan de l’écologie ?
Les gouvernements, dans leur désir de rattraper les industries du Nord, disent : « Nous aussi, on a le droit de polluer ! » Souvent, ils ne mettent donc pas au cœur de leurs politiques la question écologique. Et pourtant, dans la manière d’être du continent, on a ce que j’appelle « les écologies premières » : les communautés rurales ont articulé des relations intelligentes entre des collectifs d’existants, animaux, végétaux… C’est une écologie intéressante mais qui n’est pas théorisée.
L’Afrique est le continent qui émet le moins de gaz à effet de serre, moins de 5%. Et pourtant, elle est parmi les premières victimes du changement climatique et dans chaque COP, on se fait berner. C’est un commerce de dupe, COP après COP. Il faudrait une révolution écologique qui vienne de la part des élites africaines. On peut mettre en place des économies vertes. Nous ne sommes pas les plus industrialisés, c’est-à-dire qu’on peut faire différemment, on peut encore inventer, bifurquer. En Europe, il faudra fermer des espaces pour en ouvrir d’autres. Alors que sur le continent africain, on n’a pas à fermer : il y a une vraie opportunité pour être des gens qui guidons cette révolution écologique.
« L’Afrique redeviendra le poumon spirituel du monde », écrivez-vous. Ce serait une bonne nouvelle ?
Lorsqu’on regarde les cultures africaines, j’ai l’impression qu’elles mettent la spiritualité au cœur de leur rapport à la réalité. Pourquoi vivons-nous ensemble ? Dans quel but ? Il me semble que la beauté, la poésie, l’harmonie, le sublime, la paix intérieure… sont des fins que l’humanité partage tout entière !
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