En Côte d’Ivoire, l’économie peut-elle supporter le coup politique ?

0
2
Premier producteur mondial de cacao avec près de 45% de la production planétaire, la Côte d'Ivoire est la première économie de l'Union économique et monétaire d'Afrique de l'Ouest.
Premier producteur mondial de cacao avec près de 45% de la production planétaire, la Côte d'Ivoire est la première économie de l'Union économique et monétaire d'Afrique de l'Ouest.

Economie « star » en Afrique subsaharienne francophone, la Côte d’Ivoire est à la croisée des chemins, entre sa trajectoire de croissance qui séduit, ces dernières années, les investisseurs et son échéance électorale qui n’est pas sans remous. Décryptage.

L’heure est à la célébration des 65 ans d’indépendance de la Côte d’Ivoire, ce 7 août, dont les festivités se tiennent exceptionnellement cette année à Bouaké, ville du centre du pays, où la France, le Maroc et les Etats-Unis participent au défilé des militaires, sous le regard d’Alassane Ouattara, son gouvernement et des citoyens ivoiriens. Dans son discours pour l’occasion, le président – qui a suscité un tollé le 29 juillet en annonçant sa candidature à la présidentielle du 25 octobre prochain pour un quatrième mandat – s’est réjoui de la « résilience » de son pays face aux « grandes incertitudes » régionales et internationales. « Nous avons su faire les bons choix, dans la rigueur et l’anticipation, pour rétablir les équilibres macro-économiques, soutenir l’activité économique et maintenir le cap du développement, tout en garantissant notre souveraineté », a-t-il déclaré, soulignant la stabilité, la sécurité et prospérité qui caractérisent son pays.

Une Côte d’Ivoire qui « s’impose », mais dont la vie politique interroge

Premier producteur mondial de cacao avec près de 45% de la production planétaire, la Côte d’Ivoire est la première économie de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA). Avec une croissance du PIB de 6% en 2024, cette destination phare des investissements en Afrique subsaharienne francophone, bénéficie de notations souveraines améliorées à BB par les agences de notation depuis l’an dernier, Fitch Ratings lui ayant attribué en juin 2025 la note de BB- avec perspectives stables. Plusieurs projets d’envergure en cours ou prévus sont censés marquer davantage le développement du pays dans plusieurs secteurs : les mines avec le projet aurifère de Koné ; les zones industrielles de Bouaké et San Pedro ; le transport avec le projet de métro d’Abidjan ou encore le gisement Baleine qui devrait porter la production nationale de pétrole à 200 000 barils par jour d’ici 2027. Toute cette dynamique est également rehaussée par la forte attractivité d’Abidjan pour le tourisme d’affaires avec notamment les multiples rendez-vous économiques internationaux qui élisent régulièrement domicile dans la capitale ivoirienne.

Pour 2025 et 2026, la Banque africaine de développement (BAD) prévoit une croissance stable à 6,3%, s’alignant aux pronostics du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Les principales institutions financières s’attendent une stabilité de l’économie en dépit de quelques défis que rencontre le pays en termes de mobilisation des ressources fiscales ou les nécessaires investissements dans le capital humain.

Cette effervescence braque, sur la Côte d’Ivoire, les projecteurs des acteurs économiques mondiaux qui cherchent des positions en Afrique. « Tirée par une croissance soutenue, une stabilité politique retrouvée et des réformes économiques ambitieuses, la Côte d’Ivoire s’impose comme un pôle d’attraction majeur pour les investisseurs étrangers », estime Bpifrance dans un dossier publié en mars dernier et encourageant les acteurs français à investir notamment dans l’agro-industrie, l’énergie, les hydrocarbures ou encore les technologies.

Mais alors que la candidature du président Ouattara aux élections du 25 octobre pour un quatrième mandat, précédée de l’éviction des mastodontes de l’opposition comme l’ex-président Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, l’opinion ivoirienne reste divisée. Le camp présidentiel soutient naturellement la décision de Ouattara, tandis que l’opposition dénonce une « violation » de la loi.

Le secteur privé en mode préservation des intérêts

Le secteur privé, quant à lui, se fait silencieux. « Chacun assure ses intérêts et dans ce cas, mieux vaut être discret sur ses opinions », explique un dirigeant d’entreprise qui requiert l’anonymat. « Honnêtement, poursuit-il, seuls les naïfs ne s’attendaient pas à la candidature du président Alassane Ouattara. C’est le contraire qui aurait surpris ». D’ailleurs, le président du patronat ivoirien, Ahmed Cissé, accompagnait fièrement ce 4 août, une délégation d’entrepreneurs ivoiriens primés lors de la traditionnelle cérémonie du Prix National d’Excellence présidée par le président.

« En réalité, le pays n’est pas sous tension, contrairement à la perception que peut être ressentie à l’étranger », estime un cadre dans une institution internationale, soulignant que « la mise à l’écart de tous les challengers de l’opposition fait que l’on ne s’attend pas à de grosses surprises y compris sur le plan sécuritaire ». Cependant, le dirigeant d’entreprise remarque tout de même quelques positions de précautions de la part de certains acteurs économiques qui sentent la précaution. « On observe les ventes de certains biens importants qui rappellent un peu les tendances observées lors des périodes à risques, certains événements et/ou investissements sont reportés à l’année prochaine, certains acteurs prennent des visas sans aucune intention immédiate de voyage… », détaille-t-il, estimant tout de même que la situation reste calme.

2020 vs 2025

En 2020, la candidature d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat avait suscité beaucoup d’inquiétudes chez les acteurs économiques face au spectre de l’instabilité. A un mois et demi de l’élection, le gouvernement rassemblait le secteur privé pour le rassurer de son engagement à conduire des élections paisibles de manière à préserver les intérêts des entreprises. En dépit de cela, plusieurs acteurs économiques ont fait le choix de s’éloigner temporairement de la Côte d’Ivoire, craignant une escalade. Mais l’investiture de Ouattara en décembre 2020 avait suffi pour un retour à la normale.

Dans le contexte actuel, les questions restent en suspens. Si des violences ont éclaté en début de semaine donnant lieu à des arrestations, il s’observe – à deux mois et demi de la présidentielle – beaucoup d’attentisme, y compris au sein du secteur privé, quant à l’évolution de la situation socio-politique.

Ristel Tchounand

Leave a reply

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici