Le rôle de l’intellectuel, comme du journaliste, est, en théorie, de raisonner froidement, hors de toute subjectivité, sur des sujets d’intérêt général. Ce n’est évidemment jamais possible. Chacun est déterminé par sa vie et par ses rencontres et toute tentative d’y échapper est vouée à l’échec. Et c’est très bien ainsi.

Jacques Attali est né le 1er novembre 1943. Polytechnicien, énarque et conseiller spécial du président de la République François Mitterrand pendant dix ans, il est le fondateur de 4 institutions internationales : Action contre la faim, EUREKA, BERD et Positive Planet. La fondation Positive Planet (et les autres entités de l’ensemble Positive Planet) promeuvent l’économie positive et soutiennent depuis 22 ans la création d’entreprises positives dans les quartiers en France, en Afrique et au Moyen-Orient. Elle a apporté son appui à plus de 11 millions de micro-entrepreneurs. Jacques Attali a rédigé plus de 1000 éditoriaux dans le magazine L’Express et est l’auteur de plus 80 livres vendus à 9 millions d’exemplaires et traduits en 22 langues. Il est aujourd’hui éditorialiste pour le journal les Echos. Il a également dirigé plusieurs orchestres à travers le monde (Paris, Grenoble, Londres, Jerusalem, Shanghai, Astana, Montreal, Lausanne, Bruxelles, Helsinki, etc.).

En particulier, quand il s’agit du conflit du Moyen-Orient : chacun le juge à partir de sa propre histoire. La mienne commence avec la décision de mon père, dès les débuts de la révolution algérienne, de quitter ce pays, où ses ancêtres vivaient depuis des siècles, parce qu’il pensait souhaitable et inéluctable son indépendance, mais qu’il pensait aussi que nous n’y aurions plus notre place. J’en ai retenu l’importance de penser avec quelques coups d’avance, de privilégier l’hypothèse du pire, et de s’y préparer. Mon histoire continue par un jour très particulier de 1997 où j’ai pu déjeuner avec Shimon Peres à Jérusalem et diner, le soir même, (un soir d’Iftâr) avec Yassir Arafat à Gaza. J’en ai retenu qu’une paix est possible entre ces deux peuples frères et voisins, ayant l’un et l’autre des droits légitimes sur une partie de cette terre, où sont nés les trois monothéismes, qui chacun en appelle à la fraternité entre tous les humains.

Aujourd’hui, alors que la nuit de la barbarie semble une fois de plus retomber sur ces peuples, il me semble qu’on peut éclairer la situation en la décomposant en trois conflits (au moins), trois volontés de mort, qui s’empilent les unes sur les autres :

1. La volonté d’un mouvement terroriste, le Hamas, de détruire l’État d’Israël, et d’assassiner tous ceux qui y vivent, et d’abord les femmes et les enfants, de la façon la plus barbare possible, sans se préoccuper des conséquences sur ceux qu’il opprime, les Palestiniens. Aucun homme de bonne volonté ne peut souhaiter la victoire de ces terroristes, de ces barbares. Et qu’on ne dise pas que Gaza est une prison à ciel ouvert du fait des Israéliens ; le geôlier, c’est le Hamas. Aurait-on voulu qu’Israël laisse entrer, depuis des années, les monstres qui ont commis les crimes de cette semaine ? Les dirigeants de ce mouvement, ces monstres, devront être jugés, par l’Histoire, et des tribunaux, pour leurs crimes.

2. La volonté d’un premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, d’empêcher par tous les moyens la naissance d’un État palestinien, quitte, pour cela, à jouer la politique du pire, à favoriser depuis dix ans le Hamas contre l’OLP, à obéir à ses alliés religieux les plus extrémistes en dégarnissant la frontière avec Gaza pour protéger des colonies scandaleusement placées en territoire palestinien. Par son attitude cynique et folle, qui ne s’explique que par sa peur d’aller en prison, ce Premier ministre porte une très lourde responsabilité dans les évènements actuels et il devra être jugé, par l’Histoire et par des tribunaux, pour ses crimes.

3. La volonté des dictatures, partout dans le monde, de ne pas tolérer la présence de démocraties à leur porte, surtout chez des peuples frères. La Russie ne le tolère pas avec l’Ukraine, la Chine communiste avec Taïwan, le Hamas avec Israël, et bien d’autres. On peut  expliquer ainsi l’hostilité de bien d’autres couples frères. Ces dictateurs, eux aussi, devront être jugés pour leurs crimes.

Si ces trois cercles de l’enfer se referment sur le pire, Israël sera détruite, la Palestine n’existera pas, Taïwan sera envahie et le monde s’enflammera dans une guerre planétaire où sombrera ce qui reste de démocratie.

L’histoire m’a appris une dernière leçon : elle est tragique. Toujours. Le pire est le plus probable. Toujours. Et la meilleure façon de l’éviter est de s’y préparer. Cela veut dire, pour les démocraties, de ne pas baisser la garde (comme l’ont fait les Israéliens en laissant leur jeunesse danser sans protection à deux kilomètres des barbares), de se préparer à des compromis (comme ne le font ni les Israéliens, ni les Palestiniens) ; et, pour les Européens, à écouter ces leçons, à se mettre d’urgence en économie de guerre, et à se préparer au pire, pour l’éviter.

Au bout de la route, la démocratie l’emportera mondialement ; Israël et la Palestine coexisteront pacifiquement ; il y aura la paix au Moyen-Orient ; l’Iran et la Russie deviendront des démocraties et l’Europe deviendra une puissance souveraine, championne des libertés. La seule question est de savoir comment ne pas passer par un cataclysme avant d’y parvenir.

j@attali.com

Image : Le mur de séparation Israël-Palestine.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici