Après la frayeur provoquée par la rébellion avortée du chef du groupe Wagner Evgueni Prigojine menaçant de marcher sur Moscou, la vie a très vite repris son cours dans la capitale russe. Mais chacun y va de son appréciation sur une situation incertaine.

Malgré le jour chômé décrété à Moscou par le maire Sergueï Sobianine, de nombreux habitants travaillaient normalement ce lundi dans la capitale russe. « Mon patron se fiche bien de ce que décide Sobianine. Et les autres entreprises aussi. Nous sommes bien au travail aujourd’hui », commente Maria. « Pas de mutinerie, pas de jour de congé, voilà la blague qui circule entre nous », ajoute cette employée dans le secteur médical.

La rébellion armée spectaculaire lancée par le chef du groupe paramilitaire Wagner dans la nuit de vendredi à samedi en Russie n’aura toutefois pas gâché tout le week-end des Moscovites. Evgueni Prigojine ayant renoncé à son projet de « marcher » sur la capitale après 24 heures, la crise s’est terminée samedi soir aussi brusquement qu’elle avait commencé.

La vie a très vite repris son cours et Moscou retrouvé sa nonchalance estivale. Dimanche, rien ne laissait imaginer qu’une milice privée s’était approchée, la veille, à moins de 300 kilomètres du Kremlin, après avoir pris le contrôle de Rostov-sur-le-Don, ville d’un million d’habitant·es du sud de la Russie et quartier général des opérations militaires en Ukraine.

Dans les rues, la présence policière était réduite, y compris devant la Loubianka, siège du Service fédéral russe de sécurité (FSB), où un seul fourgon de police était stationné. Alors que les vacances scolaires ont démarré depuis fin mai pour la plupart des enfants, les Moscovites ont profité de la météo ensoleillée pour se détendre. Flâner dans les parcs, s’attarder aux terrasses des cafés et des restaurants ou manger une glace, s’éclabousser dans les fontaines, partager un pique-nique en amoureux sur le banc d’une place ombragée… Les bateaux de croisière naviguant sur la Moskova ont fait carton plein, tout comme les bus à toit panoramique proposant des circuits dans la ville aux touristes.

Le « régime d’opération anti-terroriste » instauré le 24 juin a été levé dès le début de matinée lundi à Moscou et dans sa région.

Vent de panique

Pourtant, l’épisode fou du week-end a bien secoué le Kremlin et fait souffler un vent de panique sur la capitale. Samedi, les autorités, apparaissant impuissantes à stopper l’avancée de la colonne de mercenaires sur l’autoroute M4 reliant le sud du pays à la capitale, ont multiplié les mesures en tout genre. Outre les barrages érigés dans la banlieue sud de la ville, un pont au-dessus de la rivière Moskova a été ouvert à deux heures de la capitale pour empêcher le passage de véhicules, tandis que des tranchées étaient creusées dans la chaussée.

Dans la mégalopole, la présence policière a été renforcée et des hommes en armes postés devant les administrations. Les universités, en pleine session d’examens, ont annoncé la mise en place d’un régime à distance, les cérémonies de remise de diplômes dans les lycées ont été reportées d’une semaine, les musées ont évacué les visiteurs et fermé leurs portes.

Autres signes d’affolement : la monnaie a chuté, les vols directs vers les pays étrangers les plus proches ont été pris d’assaut et des rumeurs de départ des membres de l’élite ont circulé, tandis que des conseils de gestion de crise fleurissaient sur les réseaux sociaux : consignes en cas de pannes Internet, guide sur la façon de quitter la Russie en une journée, règles à respecter en cas de bombardement…

La rébellion a finalement pris fin avec la volte-face décidée par Prigojine samedi soir et l’annonce d’un accord conclu sous l’égide du dirigeant bélarusse Alexandre Loukachenko. Selon le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, le chef de Wagner devait se retirer au Bélarus et toutes les poursuites contre lui seraient abandonnées. Les médias russes affirmaient toutefois lundi que l’affaire pénale pour « organisation d’une rébellion armée » n’était pas close.

Lors de leur marche vers Moscou, les mercenaires ont abattu six hélicoptères et un avion, tuant selon diverses estimations au moins 13 personnes. Malgré ce lourd bilan pour l’armée russe, les médias officiels saluaient lundi la « rapidité » avec laquelle le conflit avait été réglé « avec un minimum de pertes ». La Russie est « capable de faire face à toutes les crises, tant externes qu’internes », se félicitait le quotidien pro-Kremlin Komsomolskaïa Pravda dans un édito à la gloire du président russe. « Dieu merci, Poutine était là. […] Depuis hier, la conviction que notre pays a exactement le type de dirigeant dont il a besoin n’a fait que se renforcer. »

Inquiétudes et incrédulité

Dans la population, l’épisode de rébellion des mercenaires Wagner a suscité des sentiments mitigés, entre fatalisme, inquiétude et incompréhension. Originaire du Kirghizistan, Bekjan n’a pas eu peur pour sa sécurité, mais il se demande comment le Kremlin a pu laisser Evgueni Prigojine s’approcher si près de Moscou. « S’ils voulaient l’arrêter, il leur suffisait de balancer un missile sur la colonne des mercenaires », estime le jeune homme de 23 ans.

« Tout cela semblait tellement bizarre et stupide. Et Loukachenko comme sauveur de la situation ?! » Lena, 37 ans, ne comprend pas ce qui s’est passé mais reconnaît avoir eu très peur. « Les autorités avaient l’air si misérables face à la situation. »

Mère de famille, Katia était, elle aussi, effrayée. « Je suis très heureuse que cela se soit terminé rapidement, car il y avait une réelle menace de guerre civile », déclare-t-elle. « Nous sommes tous fatigués de ces turbulences et cette instabilité constantes. J’espère que nos enfants connaîtront une vie plus calme. » Maria craint pour sa part que ce genre d’événements se multiplient à l’avenir. « C’est le début de l’effondrement de notre pays », dit-elle.

Pour certains citoyens russes, l’événement aura suscité une forme d’espoir. « Ce qui s’est passé était intéressant, j’espérais que cela allait durer plus longtemps et que ça aiderait les Ukrainiens en mettant fin à la guerre plus vite », confie Tatyana, Moscovite de 47 ans, qui ne s’attendait pas à une telle mutinerie. « Après toutes les déclarations ultra-critiques de Prigojine contre l’armée, je m’attendais plutôt à ce qu’il soit assassiné. »

Selon Alekseï Miniailo, opposant politique vivant toujours en Russie, l’épisode porte un coup dur au régime du Kremlin, alors que l’intervention très brève de Vladimir Poutine lundi soir a renforcé le sentiment d’un président affaibli.

« Beaucoup de gens se font des illusions sur le fait que Poutine contrôlerait la situation et que l’armée russe aurait encore beaucoup de réserves. La réalité est que tout l’équipement et les formations prêtes au combat sont mobilisés sur le front en Ukraine. En quelques heures à peine, 2 000 ou 3 000 mercenaires sont arrivés à proximité de Moscou, sans rencontrer de résistance, ni personne pour les arrêter. Au contraire, des gens sont même sortis dans la rue pour les soutenir. Et les gouverneurs sont restés très prudents dans leurs déclarations, ils n’ont pas osé dire que Prigojine était un criminel, souligne-t-il. Bien sûr, à la suite de cet événement, la répression va s’intensifier, mais désormais tout le monde a vu que le roi est nu. Et cela aura des conséquences inévitables. Qui veut obéir à un homme qui pourrait perdre le pouvoir en un tournemain ? »

Estelle Levresse

1 COMMENTAIRE

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