Crise du logement en Côte d’Ivoire : l’État reprend peu à peu la main

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Confrontées à l’augmentation de la population et à la saturation de l’offre privée, les autorités ivoiriennes interviennent massivement pour combler le déficit de logements abordables. Un engagement qui se traduit par de vastes programmes de construction de logements sociaux comme par l’encouragement à sortir d’un modèle de propriété qui n’est pas toujours adapté aux besoins d’une population ivoirienne encore faiblement bancarisée.

Bruno Koné,Ministre de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme

Pour qui découvrirait la capitale économique ivoirienne, Abidjan présenterait sans doute deux visages bien différents. Celui, à première vue, d’une mégalopole africaine en ébullition, où partout se dressent les grues et rugissent les engins de construction. De fait, dans certains quartiers comme ceux du Plateau ou de la Riviera, de nouveaux immeubles surgissent de terre en un temps record, accueillant ici des employés de bureaux, là de nouveaux habitants. Tous drainés par l’insolente croissance économique (+6,5% en moyenne depuis une dizaine d’années) de la Côte d’Ivoire.

Mais le PIB n’est pas le seul indicateur à croître de manière exponentielle dans ce pays d’Afrique de l’Ouest ; sa population aussi. De 3 millions de personnes en 1955, celle-ci a atteint 29 millions en 2021 et devrait tutoyer les 50 millions en 2050. Autant d’habitants qu’il faut bien loger quelque part – et c’est là qu’apparaît le second visage d’Abidjan. Celui d’une ville où se joue, pour une partie de sa population, « une épuisante course au logement », comme a choisi de la qualifier le journal Le Monde. Non qu’il s’agisse d’une particularité ivoirienne ; en Afrique de l’Ouest (UEMOA), plusieurs millions de logements manqueraient à l’appel. Un déficit d’habitations abordables qui se creuse, dans la région, « presque jusqu’à l’absurde », d’après la Banque africaine de développement.

Un morcellement du foncier qui dissuade les investisseurs

Sans atteindre les 3 millions d’unités manquantes de Lagos, au Nigeria, le déficit de logements en Côte d’Ivoire serait, selon les estimations, compris entre 500 000 et 830 000 unités ; et il croît, d’après le Centre for Affordable Housing Finance in Africa, d’environ 10 % chaque année, entraînant, surtout dans les zones urbaines, des phénomènes de surpopulation, de précarité, voire d’itinérance. Les causes de cette crise du logement sont bien identifiées : la démographie galopante, qui pousse vers les villes toujours plus d’habitants ; l’urbanisation, dont le taux en Côte d’Ivoire est passé de 5 % en 1950 à 55 % en 2023 ; les difficultés financières, l’exercice d’une activité informelle et le faible taux de bancarisation de nombreux Ivoiriens, qui rendent difficile, voire impossible, l’accès au crédit.

A ces causes structurelles, il convient d’ajouter l’insécurité foncière inhérente à la coexistence, sur certaines parcelles de terrain, de plusieurs systèmes de droits (formels, informels et coutumiers). « Parfois, certains te donnent des documents, mais tu te rends compte que la terre ne leur appartient pas », explique un promoteur local à RFI, un second confirmant au même micro qu’il « peut y avoir plusieurs attributions sur la même parcelle (…). La banque ou les investisseurs ont peur d’investir beaucoup, car s’il y a un conflit, il sera très difficile de trancher. Ça freine beaucoup d’investissements ». « Avant de construire, il faut disposer d’un foncier », tranche sur Africa24 Jean-Pascal Boah, du ministère ivoirien de la Construction, du logement et de l’urbanisme (MCLU).

Sortir du modèle « tout propriétaire »

Toujours selon le fonctionnaire, « le ministre Bruno Koné (a entrepris) beaucoup de réformes pour permettre de sécuriser toute la chaîne » du logement en Côte d’Ivoire. Dans un pays où pas un jour ne passe sans que soient évoqués les très impopulaires « déguerpissements », comme sont ici désignées les opérations de démolition de quartiers insalubres, la crise du logement est éminemment politique. Le président ivoirien, Alassane Ouattara, l’a bien compris, lui qui dès son élection en 2011 a fait de l’accès au logement l’une des priorités de son action. Signant la reprise en main de l’État sur un secteur de la construction peinant à honorer la demande de la population, le Programme présidentiel de construction de logements sociaux et économiques (PPLSE) a été lancé en 2012, avec l’objectif de construire 60 000, puis 150 000 logements.

Une grosse dizaine d’années plus tard, un tiers seulement des unités prévues sont sorties de terre. Au Monde, le ministre Bruno Koné assure avoir « commencé à tirer les enseignements des échecs relatifs » du programme, assurant par ailleurs qu’il « ne faut pas se focaliser (…) sur la construction-vente qui ne convient pas forcément aux personnes non bancarisées ». Pour accélérer le PPLSE, le MCLU a annoncé en 2024 son intention de faire appel à des promoteurs à plus fortes capacités financières, avec lesquels des conventions seraient d’ores et déjà signées pour réaliser 465 000 logements. De même que l’instauration de mécanismes de location-vente et location simple, ainsi qu’un recours plus prononcé aux partenariats public-privé (PPP).

De facilitateur, l’État ivoirien devient bâtisseur

Confrontées à un véritable mille-feuilles de difficultés financières et foncières, les autorités ivoiriennes ne baissent pas les bras. En août dernier, le premier ministre, Robert Beugré Mambé, posait ainsi la première pierre d’un programme de construction de 1 160 logements sociaux à Abidjan – toujours en location-vente ou location simple. Et en novembre de la même année, le gouvernement annonçait le lancement d’un programme d’urgence prévoyant la construction de 25 000 nouveaux logements. Avec ce programme, lançait à cette occasion Bruno Koné, « l’État passe (…) du rôle de facilitateur qu’il a joué jusqu’à présent, à un rôle plus actif et plus direct dans la production de logements sociaux et économiques (…). Il s’agit d’une mutation profonde et significative du (PPLSE) qui adresse plus efficacement les besoins des populations les plus vulnérables ».

Fidele K

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