Côte d’Ivoire : des tensions politiques qui rappellent les fantômes de 2010

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À l’approche de l’élection présidentielle prévue en octobre, la Côte d’Ivoire semble entrer dans une zone de turbulence politique préoccupante. L’arrestation du « cyberactiviste » Ibrahim Zigui, militant du Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), suscite une vague d’inquiétude sur la liberté d’expression, la tolérance politique et la capacité du pays à gérer un scrutin dans un climat apaisé. Ce nouvel épisode, s’il semble anodin au premier abord, intervient dans un contexte tendu et ravive le souvenir douloureux de la crise post-électorale de 2010-2011.

Un militant arrêté pour une vidéo jugée subversive

En côte d’Ivoire, Ibrahim Zigui, militant du Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), a été interpellé dans la nuit du 2 septembre. Ce, après la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo dans laquelle il appelait les Ivoiriens à sortir pacifiquement, munis du drapeau national, pour suivre les délibérations du Conseil constitutionnel sur la liste définitive des candidats à la présidentielle. Le Conseil doit en effet publier sa décision le 10 septembre, date hautement symbolique dans le processus électoral.

Selon Justin Koné Katinan, président du Conseil politique et stratégique du PPA-CI, cette arrestation est non seulement abusive, mais constitue une atteinte grave à la liberté d’expression. « Si appeler à sortir avec le drapeau pour écouter une décision judiciaire est un crime, alors où allons-nous ? » s’interroge-t-il. Il rappelle que la démocratie repose sur la possibilité de s’exprimer librement, y compris – et surtout – lorsque les opinions divergent de celles du pouvoir.

Une série d’interpellations ciblées

Ibrahim Zigui n’est pas un cas isolé. Depuis plusieurs mois, plusieurs militants ou proches du PPA-CI ont été arrêtés ou condamnés. En juin dernier, le sociologue Gala Kolébi, également militant du parti de Laurent Gbagbo, a été condamné à 18 mois de prison pour « trouble à l’ordre public » et « diffusion de fausses nouvelles ». Deux autres responsables du même parti avaient déjà été condamnés en février pour « atteinte à la sûreté de l’État ».

À chaque fois, les autorités invoquent la préservation de l’ordre public ou la lutte contre la désinformation. Mais pour les opposants, il s’agit surtout d’une stratégie de musellement politique. Dans un contexte pré-électoral, ces arrestations en série inquiètent : elles donnent l’impression d’une volonté de verrouiller le débat et d’étouffer toute contestation avant l’échéance cruciale d’octobre.

Un climat qui rappelle les tensions de 2010

Ce durcissement politique ne peut être compris sans un retour en arrière. La Côte d’Ivoire porte encore les stigmates de la crise post-électorale de 2010-2011. À l’époque, le différend entre Laurent Gbagbo, président sortant, et Alassane Ouattara, déclaré vainqueur par la Commission électorale indépendante mais contesté par le camp Gbagbo, avait plongé le pays dans une guerre civile de plusieurs mois. Le bilan avait été lourd : plus de 3 000 morts, des milliers de déplacés, et un tissu social profondément déchiré.

Ce traumatisme national reste présent dans les esprits. Et c’est justement pour éviter que l’histoire ne se répète que la vigilance s’impose. Les arrestations de militants d’opposition, les accusations de partialité de la justice, la méfiance envers le Conseil constitutionnel : tous ces signaux faibles rappellent le climat délétère de 2010.

Des institutions sous pression

Dans une démocratie saine, les institutions jouent un rôle de régulation et de médiation. Mais en Côte d’Ivoire, leur indépendance est régulièrement remise en question. Le Conseil constitutionnel, dont la décision du 10 septembre est très attendue, se retrouve au cœur de toutes les spéculations. C’est ce même Conseil qui avait validé la candidature controversée d’Alassane Ouattara à un troisième mandat en 2020, provoquant déjà à l’époque des troubles meurtriers.

Aujourd’hui encore, des interrogations pèsent sur l’impartialité des décisions à venir, notamment sur l’éligibilité de certains candidats ou les raisons d’éventuelles exclusions. Dans ce contexte tendu, la moindre perception d’injustice peut servir de détonateur à une colère populaire latente. Face à cette situation, la responsabilité incombe à tous les acteurs : pouvoir, opposition, institutions, société civile, mais aussi citoyens ordinaires.

Appel à la responsabilité collective

L’espace politique doit rester ouvert, même aux voix discordantes. Appeler à la mobilisation pacifique ne peut être assimilé à un crime. De même, les institutions doivent s’efforcer de restaurer la confiance par la transparence et l’équité de leurs décisions. Le risque de voir la Côte d’Ivoire replonger dans une spirale de violence n’est pas théorique. Il est réel, tangible, d’autant plus que les frustrations accumulées depuis les dernières élections n’ont pas été entièrement résorbées.

Pour prévenir le pire, il urge de créer un climat apaisé, où les désaccords se règlent dans les urnes, pas dans la rue. La Côte d’Ivoire a déjà payé un lourd tribut à l’intolérance politique et aux manipulations institutionnelles. Elle ne peut pas se permettre une rechute. À un mois d’une élection d’envergure, les signaux d’alerte se multiplient. Il est temps que les autorités entendent les voix qui s’élèvent pour réclamer plus de justice, plus de liberté, plus de sérénité dans le débat public. Il en va non seulement de la réussite de l’élection à venir, mais aussi de la stabilité durable du pays.

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