La Loi sur les nouvelles en ligne vise à forcer les géants du web, nommément Google et Meta, maison mère de Facebook et propriétaire d’Instagram, à verser des redevances aux médias dont les contenus sont partagés sur leurs plateformes.
Ottawa, Québec, plusieurs villes et des médias cessent d’acheter de la publicité sur Facebook et Instagram.
Nouvelle étape dans le bras de fer qui oppose le gouvernement canadien aux géants du web. Le fédéral n’achètera plus de publicité sur Facebook ni sur Instagram tant et aussi longtemps que la maison mère de ces plateformes, Meta, continuera de bloquer les contenus journalistiques canadiens.
Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, en a fait l’annonce mercredi midi, accompagné du député bloquiste Martin Champoux et du député néo-démocrate Peter Julian, dans ce qu’ils ont qualifié de « front commun » contre les menaces des géants du web. Seul le Parti conservateur était absent de cette conférence de presse.
On leur demande de contribuer à leur juste part. Pas plus, pas moins
, a répété à de nombreuses reprises M. Rodriguez pour justifier sa décision. Rappelons que Meta s’oppose à l’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne, qui demande aux géants du web de rémunérer les médias pour le contenu diffusé sur les plateformes en ligne.
Le gouvernement fédéral investit environ 11 millions de dollars annuellement dans la publicité sur les réseaux sociaux de Meta, une somme que M. Rodriguez a promis de réinvestir dans des campagnes majeures
.
« C’est difficile de continuer d’appuyer avec les sous du gouvernement une compagnie qui refuse de reconnaître le rôle du journalisme libre, indépendant et non partisan dans notre pays. »
Le gouvernement souhaite, selon Pablo Rodriguez, montrer l’exemple
et espère ainsi que d’autres feront de même. Je pense que d’autres devraient emboîter le pas. Il faut que d’autres emboîtent le pas
, a renchéri le bloquiste Martin Champoux. Il a notamment invité le gouvernement fédéral à encourager d’autres membres de la société civile, notamment les entreprises, à restreindre leurs investissements publicitaires sur les plateformes de Meta.
Québec cessera aussi d’annoncer sur les plateformes de Meta
Et justement, la décision d’Ottawa a retenti jusqu’à Québec. Questionné à ce sujet dans une mêlée de presse mercredi matin, le premier ministre du Québec, François Legault, ne s’est pas montré favorable à un boycottage de Meta par son gouvernement. Québec n’est pas rendu à l’étape de boycotter. Pas pour l’instant
, soulignait-il.
Il a cependant changé son fusil d’épaule en après-midi en annonçant sur Twitter que le gouvernement québécois imiterait Ottawa.
De son côté, l’Ontario a indiqué qu’il n’a pas l’intention de modifier sa politique en matière de publicité, mais soutient qu’il continuera à soutenir les médias canadiens par le biais de campagnes publicitaires gouvernementales.
Les villes de Montréal, Québec et Longueuil suivent l’exemple du fédéral et de Québec et suspendent toute nouvelle publicité sur les plateformes de Meta.
Des entreprises médiatiques ont fait de même, notamment Québecor et Cogeco Média
Le quotidien La Presse+ a confirmé par courriel à Radio-Canada qu’il cesserait également d’acheter de la publicité sur Meta. Radio-Canada et CBC, pour leur part, n’ont toujours pas pris de décision à ce sujet, mais invitent néanmoins les Canadiens à changer leurs habitudes de consultation des nouvelles et à visiter directement les sites de leurs médias de référence.
Pablo Rodriguez n’a toutefois pas voulu dire si les partis politiques, notamment le Parti libéral, allaient également suspendre leurs campagnes publicitaires. Le gouvernement, c’est une chose. Les partis politiques, ça en est une autre
, a-t-il répondu à la question d’un journaliste. On n’a pas encore eu cette conversation-là
, a souligné pour sa part Justin Trudeau lors d’une mêlée de presse à Saint-Hyacinthe.
Les yeux du monde rivés sur le Canada, selon Trudeau
Ce n’est pas qu’une simple dispute à propose de la publicité, a également martelé le premier ministre canadien. C’est aussi une lutte pour notre démocratie.
Si les experts et la classe politique au Canada ont maintes fois cité ce que le gouvernement australien a fait pour mettre au pas les géants du web en marge du dépôt du projet de loi C-18, c’est maintenant l’inverse qui se produit, selon Justin Trudeau.
Les géants du web voudraient faire un exemple du Canada, effectivement […] J’ai entendu de plusieurs pays et alliés nous dire : « Tenez bon, parce que c’est une lutte qui est importante dans toutes nos démocraties »
, a-t-il expliqué.
« Facebook a décidé que le Canada est assez petit pour qu’il puisse pousser contre nous. Mais je peux vous dire que le Canada a une longue histoire de tenir tête contre des « bullies », et ils ont fait le mauvais choix en s’attaquant au Canada. »
Meta persiste et signe, Google exempté
Malgré les annonces qui se sont succédé, Meta ne bronche pas.
Comme l’a dit le ministre du Patrimoine canadien, la manière dont nous choisissons de nous conformer à la législation est une décision d’affaires que nous devons prendre, et nous avons fait notre choix
, a écrit l’entreprise dans un courriel. La Loi sur les nouvelles en ligne est une loi imparfaite qui fait fi du fonctionnement de nos plateformes, des préférences de leurs utilisateurs et de la valeur que nous accordons aux éditeurs de presse.
Alphabet, la compagnie mère de Google, n’est pas visée pour l’instant par la mesure de représailles du gouvernement canadien, même si la compagnie a elle aussi menacé de retirer les sites des médias canadiens de son moteur de recherche.
« Si le gouvernement ne se tient pas debout contre ce genre d’intimidation, qui le fera? »
C’est que, selon Pablo Rodriguez, les discussions entre le gouvernement et le géant de la recherche en ligne vont bon train, et qu’un terrain d’entente est toujours possible. Les deux parties se sont par ailleurs rencontrées la semaine dernière.
Ce que Google demande est envisageable et peut être fait, et sera fait. On veut s’asseoir et négocier
, a dit le ministre. Meta, pour sa part, aurait refusé de retourner à la table de négociation.
Les conservateurs s’opposent à la « censure d’Internet de Trudeau »
Le Parti conservateur du Canada (PCC), pour sa part, a fait savoir qu’il n’appuyait pas le front commun piloté par le gouvernement Trudeau et les autres partis d’opposition. Contacté à ce sujet, un porte-parole du parti n’a pas voulu prendre position sur le retrait de la publicité sur les plateformes de Meta, et a plutôt renvoyé à une déclaration écrite de la députée Rachael Thomas, porte-parole de l’opposition officielle en matière de patrimoine canadien.
La députée conservatrice évite de blâmer les géants du web pour la situation actuelle. Selon elle, c’est plutôt la Loi sur les nouvelles en ligne elle-même qui est au fondement de la censure sur Internet en limitant ce que les Canadiens peuvent voir et partager en ligne
, a-t-elle indiqué par communiqué.
« La censure d’Internet de Trudeau nuit aux petits médias locaux et indépendants tout en prenant le parti des grandes entreprises et des médias financés par l’État comme la CBC. »
Les conservateurs promettent ainsi d’abolir la Loi sur les nouvelles en ligne s’ils prennent le pouvoir, et de la remplacer par une loi qui ramènera le gros bon sens avec la liberté et le choix pour les Canadiens
.
Mobilisation canadienne contre Meta
(Ottawa) Le Canada contre-attaque l’empire Meta. Le gouvernement fédéral, le gouvernement québécois, les villes de Montréal, de Québec et de Longueuil, ainsi que des médias, mettent fin à l’achat de publicités sur Facebook et Instagram afin de riposter contre la décision du géant du web de mettre fin au partage de nouvelles canadiennes.
C’est le gouvernement fédéral, de la bouche du ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, qui a parti le bal en annonçant mercredi midi qu’il suspendait ses achats de publicités gouvernementales sur les réseaux sociaux.
« Facebook a décidé d’être déraisonnable, irresponsable et de commencer à bloquer les nouvelles », a-t-il dit en reprochant à sa société mère, Meta (aussi propriétaire d’Instagram) son attitude « très agressive » et son intransigeance.
Le ministre Rodriguez était accompagné à Ottawa par le député Martin Champoux, du Bloc québécois, et de Peter Julian, du Nouveau Parti démocratique (NPD), par visioconférence. Le Parti conservateur, dont le chef Pierre Poilievre a signalé qu’il comptait abroger la loi, n’était pas représenté.

Quelques heures plus tard, le premier ministre du Québec, François Legault, annonçait qu’il emboîtait le pas.
« En solidarité avec les médias, la décision a été prise de cesser toute publicité du gouvernement sur Facebook, le temps que Meta reprenne les discussions sur l’application de la loi C-18. Aucune entreprise n’est au-dessus des lois », a-t-il écrit sur Twitter.
Il avait plus tôt affirmé qu’il n’était pas prêt à imposer tel geste.
Montréal, Québec et Longueuil embarquent
La Ville de Montréal s’est aussi jointe au mouvement.

« Nous avons décidé de suspendre toute publicité de la Ville de Montréal sur Facebook en solidarité avec les médias. Le refus de Meta de partager l’information journalistique est très préoccupant. L’accès à des informations vérifiées et de qualité est essentiel », a écrit sur Twitter la mairesse Valérie Plante.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante
Même chose à Québec. « C’est important de s’ajouter au mouvement. On y croit fondamentalement. On a besoin d’un environnement médiatique sain, pluriel. On a besoin que les médias aient le financement nécessaire pour survivre et prospérer », a indiqué le maire Bruno Marchand en mêlée de presse.
Le mouvement s’est rendu à Longueuil, où « toutes les nouvelles publicités » de l’agglomération « seront suspendues jusqu’à nouvel ordre, en guise de solidarité envers nos médias d’information qui constituent l’un des piliers d’une société démocratique comme la nôtre », a tweeté la mairesse Catherine Fournier.
« Le Canada ne sera pas seul », dit Trudeau

« J’ai déjà entendu de bien des collègues et amis à travers le monde dire : “ Tenez fort au Canada, parce que c’est une lutte qui est importante dans toutes nos démocraties ” », a indiqué le premier ministre Justin Trudeau.
Adopté à la fin du mois de juin, le projet de loi C-18 vise à forcer les géants du web à conclure des ententes de rétribution avec les médias dont ils publient le contenu. En guise de riposte, Google et Meta ont dit qu’ils cesseraient de relayer les nouvelles canadiennes dès que la loi serait en vigueur, d’ici environ six mois.
Le premier ministre Justin Trudeau a mis en lumière le rôle de pionnier que joue le Canada lors d’un passage à Saint-Hyacinthe. « J’ai déjà entendu de bien des collègues et amis à travers le monde dire : “ Tenez fort au Canada, parce que c’est une lutte qui est importante dans toutes nos démocraties ” », a-t-il soutenu.
« Et je sais que le Canada ne sera pas seul », a-t-il martelé.
Si le gouvernement fédéral tient tête aux géants du web et à leur « bullying », c’est « parce qu’on sait que la démocratie est en jeu » ; et le refus net de collaborer de Meta est « un peu ridicule » compte tenu des profits faramineux qu’ils engrangent annuellement, a ajouté le premier ministre en point de presse.
Il n’a pas été en mesure de confirmer si le Parti libéral du Canada imiterait le gouvernement libéral. Un porte-parole du parti a cependant dit à des médias anglophones que ce ne serait pas le cas : on continuera à acheter des publicités sur les plateformes.
Meta bronche à peine
La société Meta n’a pas semblé se formaliser des sanctions en cascade. En fait, dans sa réaction aux annonces faites mercredi, elle n’y fait aucunement allusion, en plus de répéter que « [sa] décision est prise » et que la mesure législative est « inapplicable ».
« Comme nous l’avons à maintes reprises répété, la Loi sur les nouvelles en ligne est une loi imparfaite qui fait fi du fonctionnement de nos plateformes, des préférences de leurs utilisateurs et de la valeur que nous accordons aux éditeurs de presse », a écrit sa porte-parole, Lisa Laventure.
Et puisque le processus réglementaire « n’est pas en mesure d’apporter des modifications aux caractéristiques fondamentales » de la loi, « nous prévoyons donc mettre fin à la disponibilité des nouvelles au Canada dans les semaines à venir », a-t-elle aussi rappelé.
Google s’en sauve
Si Google (Alphabet) est épargné, c’est parce que le ministre Rodriguez est convaincu qu’une solution est à portée de main ; que les différends pourraient être aplanis au fil du processus réglementaire. Et contrairement à Meta, Google a une « approche responsable » et des « demandes précises ».
Le président des affaires internationales de Google, Kent Walker, soutenait pourtant la semaine passée dans un billet de blogue qu’Ottawa n’avait pas donné de raisons de croire « que le processus réglementaire sera en mesure de résoudre les problèmes structurels de la législation ».
À cette vision, Pablo Rodriguez oppose la sienne, optimiste. « Je ne veux pas négocier sur la place publique […], mais ça peut être fait et ça sera fait », a-t-il tranché.
Des médias ferment aussi le robinet
Mercredi matin, Québecor et Cogeco ont donné l’impulsion au mouvement de boycottage médiatique en suspendant leurs investissements publicitaires sur ces réseaux sociaux, évoquant les moyens de pression de l’entreprise américaine après l’adoption de Loi sur les nouvelles en ligne à Ottawa.
À La Presse, où « les investissements marketing sur les réseaux sociaux étaient mineurs depuis plusieurs mois déjà », on a également décidé de ne plus investir dans Meta, selon ce qu’a déclaré la porte-parole Florence Turpault-Desroches.
De leur côté, Radio-Canada et Le Devoir se penchaient sur la question.
La société Meta, de son côté, plaide qu’elle « ne collecte pas de manière proactive des liens vers des contenus d’actualité pour les afficher sur nos plateformes », et qu’au contraire « les éditeurs choisissent activement de publier sur Facebook et Instagram parce qu’il est avantageux pour eux de le faire ».
Avec Gabriel Béland, La Presse, et La Presse Canadienne