Alors que l’Afrique est au cœur de la bataille que se livrent les grandes puissances pour le contrôle des ressources minières stratégiques, le rapport estime que les pays du continent doivent renforcer leurs capacités institutionnelles pour négocier des accords mutuellement profitables et exiger la création de la valeur ajoutée localement.
Les accords basés sur un troc « minerais contre sécurité » que certains pays africains s’évertuent à conclure avec de grandes puissances étrangères pourraient favoriser une stabilité à court terme, mais comportent de gros risques liés à la perte de la souveraineté sur les ressources naturelles et de précieuses recettes budgétaires, selon un rapport publié le 21 juillet 2025 par deux chercheurs sud-africains.
Intitulé « Africa’s minerals are being bartered for security : why it’s a bad idea », le rapport rappelle que la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda ont signé, le 27 juin dernier, un accord de paix sous les auspices de l’administration américaine. Cet accord de paix doit mettre fin aux hostilités mêlant acteurs étatiques, non étatiques et des groupes armés qui menacent la stabilité régionale, tout en développant un cadre d’intégration économique régionale.
Il permettra, dans le même temps, aux Etats-Unis d’obtenir un accès privilégié à des minerais stratégiques et drainer des milliards de dollars d’investissements dans la région abritant d’importantes ressources minières comme le tantale, le cobalt, le cuivre, l’or et le lithium.

La paix promise par l’accord dépend donc de l’approvisionnement des Etats-Unis en minerais critiques, en échange d’assurances « vaguement formulées » en matière de sécurité, s’inquiètent les auteurs.
L’accord de paix prévoit, en effet, la création d’un comité conjoint de coordination de la sécurité, composé de représentants de l’Union africaine (UA), du Qatar et des Etats-Unis, qui aura pour mission de recevoir les plaintes et de résoudre les différends entre la RDC et le Rwanda. Il ne crée cependant aucune obligation spécifique en matière de sécurité pour les Etats-Unis.
Les relations entre la RDC et le Rwanda ont été marquées par des conflits armés et des tensions extrêmes depuis les sanglantes première (1996-1997) et deuxième (1998-2003) guerres du Congo. Au cœur de ce conflit se trouvent non seulement des questions politiques et ethniques, mais aussi les richesses minérales du sous-sol congolais, rappelle l’analyse.
L’étain, le tantale, le tungstène et l’or (appelés 3TG) financent et alimentent les conflits dans l’est de la RDC, où les forces gouvernementales et environ 130 groupes armés se disputent le contrôle de sites miniers lucratifs. Plusieurs rapports publiés par des ONG et des organismes rattachés à l’ONU ont fait état de l’implication de certains pays voisins, en l’occurrence le Rwanda et l’Ouganda, dans le soutien à l’extraction illégale des minerais 3TG dans cette région.

Le rapport publié par les chercheurs Hanri Mostert (Université du Cap) et Tracy-Lynn Field (Université de Witwatersrand) dans la revue « The Conversation » note d’autre part que les accords basés sur un troc impliquant des ressources naturelles ne sont pas nouveaux en Afrique, rappelant qu’ils ont fait leur apparition au début des années 2000 sous la forme de transactions « minerais contre infrastructures ». Dans ce cadre, un État étranger s’engageait à construire des infrastructures économiques et sociales (routes, ports, aéroports, hôpitaux) dans un pays africain. En échange, il obtenait une participation importante dans une société minière publique ou un accès préférentiel aux minerais du pays hôte.
Risque de perte du contrôle souverain des ressources
Les expériences récentes ont montré que ce type d’accords que la Chine et la Russie ont déjà noué avec des pays riches en minerais comme l’Angola, la RDC et la Centrafrique n’a jusqu’ici jamais permis aux pays du continent de tirer pleinement profit de leurs ressources minières. Il est dès lors peu probable que la RDC soit une exception. D’autant plus que les accords « ressources contre sécurité » sont moins transparents et beaucoup plus complexes que les accords de troc de « ressources contre infrastructures », selon la note.
Les accords « ressources contre infrastructures » et « ressources contre sécurité » offrent généralement aux pays africains une stabilité à court terme, des financements ou encore une bonne image à l’échelle internationale. Mais leurs impacts négatifs apparaissent souvent à long terme, en raison notamment d’une érosion de la souveraineté sur les ressources.
La perte du contrôle souverain des ressources se produit à travers plusieurs canaux. D’abord, certaines clauses de ces accords peuvent bloquer les futures réformes réglementaires, limitant ainsi l’autonomie législative du pays. D’autres clauses peuvent fixer des prix bas de minerais pendant de longues années, empêchant ainsi les États qui « cèdent » leurs ressources de profiter des futures hausses des prix des matières premières sur le marché international.
En outre, déplorent les auteurs du rapport, les clauses d’arbitrage transfèrent souvent les litiges vers des instances internationales, contournant ainsi les tribunaux locaux. Et last but not least, les prêts consentis aux Etats africains par les puissances partenaires sont souvent garantis par les revenus tirés des ressources, ce qui limite les exportations et sape le contrôle souverain des budgets.
Ces accords fragmentent par ailleurs l’obligation de rendre des comptes, car ils impliquent souvent plusieurs ministères tels que ceux de la Défense, des Mines, du Commerce et les Finances. Cela empêche de facto tout contrôle, ou toute reddition de comptes rigoureuse. Cette fragmentation rend aussi les ressources vulnérables à la mainmise des élites, dans la mesure où des initiés puissants peuvent manipuler les accords à des fins personnelles.
Il existe par ailleurs un risque de renforcement des violations des droits des populations locales et d’atteintes à l’environnement découlant de l’exploitation minière, surtout lorsque celle-ci est liée à la sécurité.
Pour conjurer tous ces risques, le rapport recommande aux Etats africains d’investir dans le renforcement des capacités institutionnelles et juridiques afin de négocier de meilleurs accords, de veiller sur la création de valeur ajoutée localement, d’exiger la transparence et le contrôle parlementaire des accords portant sur les minerais et de refuser les accords qui contournent les normes en matière de droits humains, environnementaux ou de respect de la souveraineté.
Walid Kéfi