Rompre le cercle vicieux de la dette africaine(par Olusegun Obasanjo, président de l’Initiative d’allégement de la dette des dirigeants africains).

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Par Olusegun Obasanjo, président de l’Initiative d’allégement de la dette des dirigeants africains, est un ancien président du Nigéria.African Leaders Debt Relief Initiative, is a former president of Nigeria.

Nous entrons dans une nouvelle ère, marquée par de profonds changements géopolitiques, la réduction de l’aide au développement, le renforcement des barrières commerciales et l’escalade des conflits mondiaux. Dans ce contexte de défis, une opportunité unique existe néanmoins de favoriser des partenariats mondiaux innovants, fondés sur des investissements mutuellement bénéfiques et des valeurs partagées.

  1. sherwin15_Andrew HarnikGettyImages_donald_trump_rose_garden_tariffsCulture6Trump’s Tariffs and the Will to PowerRICHARD K. SHERWIN thinks those who question the rationality of recent US trade policy are missing the point.

L’Afrique doit figurer au cœur de ces efforts. Abritant plusieurs des économies les plus rapidement croissantes au monde, le continent africain possède d’importantes ressources en énergies renouvelables, notamment éoliennes, solaires, géothermiques et hydroélectriques, ainsi que plus d’un cinquième des minéraux critiques de la planète, essentiels à la transition écologique. Un terrain équitable doit cependant être mis en place pour permettre à l’Afrique d’exprimer son plein potentiel. Il est pour cela indispensable de s’attaquer à une crise de la dette qui s’accélère, et qui menace d’anéantir plusieurs décennies d’avancées durement acquises en matière de développement.

L’ampleur de la crise est vertigineuse. Rien qu’en 2023, les pays à revenu faible et intermédiaire ont consacré 1,4 milliard $ au service de la dette extérieure, les pays africains payant souvent les pénalités et les taux d’intérêt les plus élevés. Résultat, ces pays n’ont guère d’autre choix que de détourner des ressources essentielles de priorités telles que l’éducation, la santé et la résilience climatique, afin d’assurer le service de prêts aux coûts exorbitants.

Aujourd’hui, plus de la moitié des pays africains allouent davantage de fonds au service de la dette qu’à la santé. Au Malawi, le service de la dette représente deux fois les dépenses consacrées à l’éducation, de plus en plus de jeunes se retrouvant ainsi condamnés à un avenir fait d’ignorance, d’inaptitude au travail et de pauvreté.

Les gouvernements africains doivent certes s’engager pour une gestion budgétaire saine et pour l’obligation de rendre des comptes, mais le dilemme de la dette du continent ne résulte pas uniquement d’une mauvaise gestion budgétaire ou d’emprunts inconsidérés. Il s’ancre également profondément dans les inégalités structurelles qui caractérisent le système financier mondial, les emprunteurs souverains africains étant en effet confrontés à des taux d’intérêt extrêmement élevés sur les marchés internationaux des capitaux – encore plus élevés que les taux imposés à des États aux antécédents de crédit comparables voire plus mauvais. Cette « prime africaine » persiste malgré les taux de défaut de paiement relativement peu élevés du continent.

Par ailleurs, les pays africains n’ont pas la possibilité de s’abstenir d’emprunter, dans la mesure où nombre d’entre eux se situent en première ligne d’une crise climatique qu’ils n’ont pas provoquée. Plusieurs États tels que le Kenya, le Malawi ou le Mozambique ont dû contracter des dettes considérables pour se relever de catastrophes naturelles de plus en plus graves et fréquentes. Les petits États insulaires en voie de développement tels que l’île Maurice empruntent pour survivre à l’élévation du niveau des mers. La pandémie de COVID-19, l’inflation mondiale ainsi que la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie n’ont fait qu’accentuer ces vulnérabilités.

Et voici que les États-Unis annoncent l’imposition de droits de douane très élevés sur les importations en provenance des pays africains qui enregistrent des excédents commerciaux vis-à-vis de Washington – et qui comptent sur les exportations pour financer le remboursement de leur dette. Bien que la mise en œuvre de ces droits de douane ait été suspendue pendant 90 jours, leur impact se fait déjà sentir sur les économies fragiles du continent. Pire encore, la réduction des programmes américains d’aide à l’étranger est vouée à peser sur les services essentiels, à ralentir les progrès vers la reprise économique, ainsi qu’à exacerber l’insécurité politique et sociale, avec pour premières victimes les communautés les plus vulnérables d’Afrique.

Au sein d’une économie mondiale profondément interconnectée, les conséquences de ces décisions politiques ne resteront pas confinées à l’Afrique. En perturbant les chaînes d’approvisionnement, en déstabilisant les économies, ainsi qu’en entravant la transition énergétique, ces mesures nuiront aux consommateurs et aux entreprises du monde entier, réduiront les possibilités d’investissement, et étoufferont la croissance économique potentielle.

Toute solution à la crise de la dette africaine doit s’attaquer aux injustices systémiques ancrées dans l’architecture financière mondiale, qui ne laissent aux États pas d’autre choix que d’emprunter à des taux prohibitifs pour répondre à des crises dont ils ne sont pas à l’origine. C’est la raison pour laquelle je me suis joint à sept autres anciens chefs d’État et de gouvernement africains dans la mise en place de l’Initiative des dirigeants africains pour l’allègement de la dette, dans le cadre de laquelle nous œuvrons pour une refonte du système mondial des prêts, afin d’obtenir un allègement de la dette, et d’améliorer les conditions d’emprunt pour les économies en voie de développement.

Dans notre récente Déclaration du Cap, nous appelons à une initiative d’allègement de la dette à grande échelle, fondée sur l’équité et la transparence. Il est nécessaire que cette démarche inclue une restructuration complète de la dette, faisant intervenir tous les créanciers – privés, bilatéraux et multilatéraux – dans le cadre d’un processus prévisible et inclusif. Taux d’intérêt moins élevés et délais de remboursement prolongés sont indispensables pour conférer une marge de manœuvre budgétaire aux États concernés.

Nous appelons également à des réformes du système financier mondial, axées sur l’élimination de la « prime africaine » ainsi que sur des investissements stratégiques dans la santé, l’éducation, les efforts de paix et la résilience face au climat, afin de progresser sur la voie des Objectifs de développement durable des Nations unies pour 2030 et de l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Le prochain sommet du G20, qui se tiendra à Johannesburg au mois de novembre, offre une opportunité idéale de progresser vers ces objectifs. La viabilité de la dette figure d’ores et déjà au plus haut de son ordre du jour.

L’allégement de la dette de l’Afrique n’est pas un acte de charité, mais une question de justice. Nous méritons une chance équitable de remettre de l’ordre dans nos comptes, d’investir dans nos populations, ainsi que de contribuer à la croissance économique, à la sécurité et à la résilience au niveau mondial – et pas seulement de rembourser des prêts qui perpétuent la dépendance et la pénurie. Qu’il s’agisse des réformes économiques au Nigeria ou des réponses apportées à l’échelle du continent aux anciens programmes d’allégement de la dette tels que l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), nous avons prouvé notre volonté et notre capacité à tirer le meilleur parti des opportunités de ce type.

Les demi-mesures ne suffiront pas. Ce n’est qu’en brisant le cercle vicieux de la dette – en faisant en sorte que les créanciers nous traitent équitablement, que les institutions multilatérales amplifient nos voix, et que les pays à revenu élevé respectent leurs engagements en matière de financement de la lutte contre le changement climatique – que nous pourrons atteindre notre plein potentiel. Il en va de l’intérêt du monde entier. Une Afrique forte, affichant une croissance rapide, peut en effet jouer un rôle crucial dans le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement mondiales, dans la stimulation de l’innovation, ainsi que dans la transition vers des énergies propres.

OLUSEGUN OBASANJO

(Olusegun Obasanjo, président de l’Initiative d’allégement de la dette des dirigeants africains, est un ancien président du Nigéria.

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